TEMOIGNAGE
Premier témoignage de Freedom Fighter à son retour de Lhassa en 1998

Le Tibet est une prison

Le Tibet historique a une superficie de 3 500 000 kms ² (7 fois la France) Une prison de la taille de l'Europe occidentale ! 6 millions de prisonniers. Essayons de les libérer. Je m'appelle " Freedom Fighter ", j'ai passé 2 ans au Tibet. Je suis arrivé fin 1995. Je vais vous parler de ce que j'ai vécu , c'est un devoir pour moi. Je souhaite commencer en pensant quelques instants à tous les prisonniers chinois. Ils sont 3 fois plus nombreux que les tibétains.
La Chine est une prison. Une prison pour les âmes. Je vais décrire les atteintes aux droit de l'homme et de la femme. Au niveau santé, rééducation du clergé, des loisirs, de la culture en général, architecture. Tout ce que vous lisez est vrai. J'en ai les preuves. (…)

Le non-respect de la religion
Les tibétains qui visitent le Potala (où il y a des caméras partout) vont dans un sens. Dans le sens de la visite. Les chinois et autres touristes visitent dans un autre sens. Pour emmerder les tibétains, pour leur montrer le peu de respect qu'ils ont pour le Tibet. A l'entrée de chaque monastère aux alentours de Lhassa, à Shigatsé, à Gyantsé, il y a une plaque qui rappelle que les monastères sont des unités de travail comme les autres. Donc ils ne peuvent pas prier le dimanche. (…) Les Lamas ne peuvent plus donner d'enseignements. Il y a de la rééducation politique dans tous les monastères depuis 3 ans. Dans chaque ville importante du Tibet, il y a un chargé des affaires religieuses. Tout est contrôlé par les chinois.

Le Tibet chinois
Devant le Jokhang, le temple le plus sacré, il y avait une grande banderole en juin 1997 pour souhaiter un bon retour dans la mère patrie à Hongkong. Ne me traitez pas de raciste, car j'ai manifesté après minuit le 1er juillet à Hongkong. En Chine, avec des chinois, pour le Tibet, pour la liberté, pour la Chine.

Les " droits de l'homme "
Au Tibet, pendant que M.C(…) dit que les droits de l'homme sont universels, mais qu'ils peuvent s'interpréter de différentes manières selon les cultures, des femmes sont empalées vivantes dans les prisons. Oui, vous lisez bien : un bâton dans l'anus. Si elles mentent au cours de l'interrogatoire : on l'enfonce. Les chinois ont mis des matraques électriques dans le vagin des nonnes, coupé des mamelons… Il y a un musée des droits de l'homme au Tibet. Je sais où il se situe. Les chinois ont tué des gens en Chine sans les toucher. Ils les mettent sous une cloche et font sonner. Après une semaine, tous les os sont brisés : c'est la mort. Le Tibet est aussi une immense caserne. Les chinois arrivent la nuit. Ils représentent 80 % de la population du Tibet historique, le vrai Tibet, le grand Tibet. Celui qui est grand comme l'Europe occidentale. Tout Lhassa est entouré de prisons. Les canons sont pointés en direction de la ville. Du haut des montagnes qui surplombent Lhassa on peut les apercevoir. Les chinois disent qu'ils représentent 10 % de la population du Tibet. La première chose que l'on voit quand on arrive à Lhassa, c'est une caserne. Avant d'apercevoir le Potala, on voit une caserne avec des châteaux d'eau bleus et blancs. Au Tibet, on prononce les sentences en public. Des gyrophares, des sirènes suivent le cortège de camions avec des prisonniers et des militaires qui font une démonstration de leur force en fixant les passants de chaque côté de la rue, la mitraillette pointée sur la foule, le fusil bien droit. Ils effectuent le tour de la ville, j'ai des photos. Les exécutions sont publiques aussi. Elles ont lieu à la sortie de Lhassa dans un enclos, deux virages avant le Bouddha sculpté dans la pierre sur la route de l'aéroport dans le flanc de la colline. L'été les touristes s'arrêtent et prennent en photo le Bouddha sans se douter ce qu'il se passe à 500 mètres. (…)

La méfiance…
Au Tibet, les parents n'osent plus parler à leurs propres enfants de certaines choses. Tout le monde se méfie de tout le monde. Il y a des espions partout. Les manifs durent une minute seulement. La ville est quadrillée. Il y a des caméras sur les toits qui surveillent. (...) Apportez aussi des photos du Dalaï Lama, je sais à qui les donner.

L'éducation
En ce qui concerne l'éducation, je ne suis pas le mieux placé pour en parler mais je sais : - Que les enfants ne peuvent plus porter d'habits tibétains à l'école. - Que le chinois est la première langue en primaire, la seule dans le secondaire. - Que les enfants ont des survêtements uniformes à Lhassa. - Que les professeurs reçoivent entre 3 et 6 mois de formation contrôlée, tout est contrôlé. - Que les écoliers doivent composer des rédactions contre le Dalaï Lama. - Qu'ils paradent dans la cour de récréation et dans les rues avec des drapeaux rouges. - Qu'ils doivent amener leur chaise, leur table, réparer les carreaux des vitres des salles de classes s'ils sont cassés. S'ils n'ont pas la carte d'identité de Lhassa, ils ne peuvent pas s'inscrire dans les collèges. A moins de payer, payer, payer… L'argent est roi, la corruption fait rage. C'est un véritable génocide culturel. Tout ce qui a trait à la culture est sinisé . (…) Les jeunes écoliers dessinent d'un trait averti la calligraphie chinoise le soir à la maison. Ils savent que de leur connaissance de la langue de Mao et de leur application à reproduire les milliers de signes chinois dépend leur avenir dans le Tibet chinois. Des centaines de jeunes tibétains sont ainsi envoyés, chaque année, se former en Chine pendant des années à la médecine, la littérature, les langues pour les stupides touristes. Ils reviennent avec un œil, une oreille sinisée. Ils ne peuvent plus écrire le tibétain, s'exprime mieux en chinois. Qu'est ce qui représente le plus une culture que sa langue ?

Les soins…
Au Tibet, on stérilise de force les femmes. J'en ai la preuve. Un " village doctor " touche 4 € par mois. Par contre, il faut un minimum de 120 € pour mettre un pied à l'hôpital : " le city hospital ". Les paysans le savent, restent chez eux, meurent, car ils n'ont pas cette somme. (…) Il n'y a aucune éthique médicale au Tibet. Les chirurgiens s'entraînent parfois sur des tibétains. Si un tibétain n'a pas d'argent et qu'il tombe malade, il est mal barré. Et comme les tibétains sont pauvres, la situation est difficile. Il y a 4 hôpitaux à Lhassa : Le City hospital : caution de 120€ pour les hospitalisations. Le Regional hospital : caution de 230 € L'hôpital des maladies infectieuses : 350 € de caution. Et un hôpital de médecine tibétaine ; je ne connais pas le prix. Pas de caution = pas d'hospitalisation = mort parfois. Les gens le savent et ne se déplacent même plus. Ils savent qu'ils seront refoulés. Ils meurent. A 10 ans, 20, 30 ,60 ans. L'espérance de vie est à mon avis de 54 ans. Les femmes de la campagne accouchent sur la paille , seules, près des animaux. Pas d'accoucheuse traditionnelle. La mortalité est importante (infantile comme maternelle). Il y a des campagnes de stérilisations forcées ou conseillées. Des femmes racontent que dans le village régnait une odeur fétide de fœtus jetés dans les toilettes. Si elles ne venaient pas, on emprisonnait leur mari. (…) Dans chaque village il y a une " women federation " qui contrôle , réprime, mais ne fait pas de promotion en faveur de la vie, ou si peu. Jamais je n'ai vu un tel déploiement de méthodes contraceptives au monde. Les femmes ont le droit d'avoir 3 enfants dans les campagnes, 2 à Lhassa et 1 si elles travaillent pour le gouvernement. Elles doivent donner le bon exemple. Si elles dérogent à la règle : amende de 400 francs. Les enfants en sus ne sont pas enregistrés et ne peuvent obtenir aucun poste de fonctionnaire. (…) Aujourd'hui encore, on brûle des offrandes au Tibet pour que la fumée chasse les mauvais esprits. On consulte un Lama qui priera pendant 2 heures pour soigner un abcès dentaire. Rarement l'amji (le docteur) sera appelé dans la maison où un enfant malade souffre, de peur qu'il amène avec lui des mauvais esprits… l'enfant guérira seul ou ne guérira pas.

Connaître le Tibet ?
Je connais un peu le Tibet. Un peu car je ne parle pas couramment leur langue. Alexandra David Néel dit qu'il faut avoir passé 10 ans dans un pays autre que le sien pour en parler. Qu'elle me pardonne. A l'époque où elle y était, les écoliers n'étaient pas obligés d'écrire des rédactions contre le Dalaï Lama et d'apprendre le chinois. Aujourd'hui, si un tibétain ne parle pas chinois à Lhassa il peut difficilement trouver du travail, 50 % des jeunes sont au chômage. Heureusement, les chinois ont tout prévu pour les occuper : disco, cigarettes pas chères, alcool subventionné… En plus au pays de l'oxygène rare, les clopes durent plus longtemps : 15 minutes contre 5 en France. Si vous voulez faire des économies de clopes, allez fumer au Tibet. Une responsable de l'agence de voyage " Nouvelles Frontières " m'a dit : " on n'a pas besoin d'accompagnateurs comme toi qui savent ce qui se passe là-bas ". Ils préfèrent envoyer des bœufs humains qui passent et ne comprennent rien.

Les montagnes sacrées (…)
Le Dalaï Lama n'encourage pas l'himalayisme. Tous les sommets sont sacrés. On ne peut pas aller au Tibet comme on va à la mer Méditerranée. J'ai un ami qui escalade des 8000 m mais qui regarde aussi les vallées qui précèdent ces 8000 m. Il amène ses amis avec lui pour partager . Même si certaines montagnes ne lui offrent pas le plaisir de les caresser au sommet, il les respecte et surtout respecte les tibétains.

Le respect d'un peuple
Le guide du routard a une section droits de l'homme au début de chaque ouvrage. Eux ils ont compris. Pas les touristes qui arpentent le Jokhang en short. Heureusement , je fais partie de la police de Lhassa, je veille. Les tibétains avouent que c'est un manque de respect de porter un short à Lhassa. Ecoutez-les et partez. Partez et emmenez les Chinois avec vous. Revenez quand vous aurez compris. Et quand vous reviendrez, allez tourner autour du Kailash avec M.Y. Il vit là-bas, il connaît le Kailash. Il vous accompagnera , moi aussi d'ailleurs.

Les temples et les monastères
J'ai arpenté pour la première fois les escaliers et les couloirs ombrés du Potala pour aider un moine qui souffrait d'épistasie. Il saignait du nez car les chinois avaient organisé une course du bas du Potala au sommet. Le premier gagnait un thermos. Mon "patient" n'avait terminé que 3ème. Il a gagné une consultation en échange d'une entrée gratuite au Potala. Le parti communiste athée jusqu'à la moelle après avoir emprisonné Nyma, le vrai Panchen Lama, un enfant de 6 ans, a transformé tous les monastères en unités de travail. Chaque établissement est donc surmonté d'un terrible drapeau rouge sang qui marque, menace, intimide, rabaisse les moines et les nonnes du Tibet. On entre dans ces lieux sacrés en passant près d'une plaque dorée qui explique certainement que l'on pénètre dans tel ou telle unité de travail, et qu'on doit cesser de prier le dimanche, qu'ils doivent planter des arbres comme tout le monde, faire de l'exercice, payer des taxes et obéir au parti. Sur 100 moines, 50 sont espions, 30 des enfants sans aucune connaissance et 20 sont des vieux résistants… (…)

Les missionnaires et la reconversion
Au Tibet, il y a 20 missionnaires. Ils sont américains. Il y a aussi une danoise. Ils traduisent la bible en tibétain. Ils enseignent l'anglais à travers la bible. L'un de leur dossier dit : " and now it is time for Tibet " (et maintenant c'est le tour du Tibet…) (…) Ils enseignent l'anglais à l'université de Lhassa. Ils jouent de la guitare à Noël et à Pâques à la gloire de Dieu et de Jésus. 2 enfants, fils de missionnaires ont vu une tanka d'un bouddha. Ils sont partis en courant en disant " c'est le diable ".

construction / reconstruction
Tout le vieux village de Lhassa aura disparu. Ils rasent tout. Lhassa est une grande ville chinoise. (…) Tous les noms des rues de Lhassa ont étés sinisés. Je suis passé à Eastern Liberation Road. La route de la libération de l'Est. Il y avait une route qui s'appelait route de la joie (happy road). Elle s'appelle aujourd'hui route de Pékin.

Le Chaos
Le Tibet est une immense prison grande comme l'Europe occidentale. C'est à mon avis, et cet avis est partagé par des tibétains, une poudrière. Les gens n'en peuvent plus ; ils sont au bord du soulèvement. Je vous rappelle qu'il y a déjà eu 1 200 000 morts. (…) L'université est contrôlée. La télé est contrôlée.
Les belles nomades de l'Amdo sont forcées de chanter en chinois. On mélange, on divise, on sème le trouble, on abrutit, on sinise. Les moines prisonniers doivent chanter l'hymne chinois chaque semaine pendant la montée du drapeau rouge sang...
Ils se révoltent, on les tue.
Les touristes ne voient rien.
Un drapeau tibétain au Tibet = au moins 12 ans de prison.
Je n'ai pas pu sortir de prison, pardon ... du Tibet , à cause d'une tempête de neige. Un mois plus tard j'apprenais que pendant cette tempête, six tibétains âgés de trois à seize ans avaient péri morts de froid à 5600 m d'altitude. Au Nangpa la, à la frontières tibéto -népalaise. Leur parents savaient qu'ils avaient peu de chance de les retrouver une fois au Népal ou en Inde. Ils ne les retrouveront jamais. Ils espéraient que leurs enfants recevraient une éducation tibétaine derrière l'Himalaya. C'est loupé. Les survivants de cette tragédie ont été amputés.
Soixante dix guides touristiques tibétains ont été expulsés de leur agence de tourisme du jour au lendemain. A la place les Chinois mettent des guides chinois. 97% des tibétains en ont ras le bol.
Cela fait plusieurs mois que je suis rentré et je m'aperçois à quel point les gens ne savent pas ce qu'il se passe vraiment là-haut. Même à des niveaux élevés de responsabilité au sein du gouvernement tibétain de la région "autonome" du Tibet les gens en ont marre. Mais ils doivent collaborer pour rester en vie.
Pendant deux ans et demi je n'ai vu que destruction du vieux Lhassa. Les chinois remplacent les vieilles maisons tibétaines par d'horribles immeubles avec sanitaires et points d'eau tout aussi déplorables. La spéculation immobilière bat son plein. (…)
Ils nous ont aussi volé notre ciel bleu à Lhassa. Depuis 1997, il est pollué.
Et si le Tibet n'était plus éternel ?
Plusieurs mois après avoir quitté le Tibet j'ai réalisé que je sortais de l'enfer, toute ma vie je me battrai pour le Tibet, je n'abandonnerai jamais, jamais.