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Chronique
56a
Alger la Blanche, 23 juillet 2003 Alger, ville blanche sur fond noir Vie quotidienne dans la Massilia du grand sud… |
J’avoue avoir volé le titre de cette chronique à un
excellent recueil de nouvelles de chez Autrement, que je vous conseille
vivement d’ailleurs - mais à ne pas confondre avec une autre sortie récente
en librairie: “Alger la blanche” (tout court), qui est en fait le tome
8 de “la Bicyclette bleue”… Alger, Marseille méridionale Alger, donc, version francisée de “El Djazaïr” en arabe
(vous comprenez maintenant le sigle « DZ » qui désigne l’Algérie ;
ça pouvait surprendre a priori… L’anglais “Algiers” conserve plus la consonance
d’origine. En revanche, je n’ai jamais compris pourquoi en espagnol on
dit “Argel”: le premier conquistador en cette terre d’Afrique en face
devait être dyslexique…). Alger est un port naturel dans une grande baie,
ancien repaire et capitale des pirates barbaresques qui infestaient et
écumaient de tout temps la Méditerranée, du temps d’Ulysse, Astérix, Richard
cœur de lion et jusqu’il y a à peine 2 ou 3 siècles, alors qu’elle était
encore une dépendance du puissant empire ottoman… C’est là qu’ils ramenaient
leur butin, trésors à revendre et esclaves à négocier contre forte rançon
en monnaie sonnante et trébuchante, ou à défaut pour peupler les bagnes
et les harems… On soupçonnait cette baie d’être le coffre-fort et la cour
des miracles de tous les trafics illicites et autres fantasmes orientalisant.
D’ailleurs, “El Djazaïr”, est-ce que ça ne sonne pas comme une nymphe,
une sultane débauchée ou une pierre précieuse?… Djazaïr… J’adore! Quel
nom plein d’évocations, de bijoux clinquants, de voiles subtils et de
parfums capiteux et envoûtants… L’étymologie est pourtant moins sulfureuse, plus prosaïque: “el djazaïr” (les
îles), c’est le pluriel de “al djezira” (l’île, comme la chaîne de télé…
de la péninsule arabique). Et bien oui, à l’origine, Alger était un groupement
de rochers et d’îlots, dont les plus grands ont finalement été rattachés à la terre à renfort de digues et remblais
pour former le port. Selon une version, le nom vient en fait du kabyle
“gzir” (l’île), qui était transcrit dans l’antiquité en “Kos”, d’où le
nom phénicien “ikosim” puis “icosium” sous la domination romaine… Alger,
ça veut donc dire “les îles” (d’ailleurs, je vous l’avais bien dit, que
j’étais une fille des îles…). Sur Internet, j’ai trouvé cette citation pour le moins dithyrambique sur Alger: "C'est une ville qu'on ne peut se lasser d'admirer
et dont l'aspect enchante l'imagination. Mouais… Bon, certes, Abou-Mohamed-El-Abery a vécu au XIIIème siècle et a donc
l’excuse de ne pas avoir vu ce que la belle El Djazaïr est aujourd’hui devenue; il en serait sans
doute malade!… Alger est bien construite sur de grosses collines boisées qui surplombent
la mer, comme San Francisco, comme Marseille, surtout, sa sœur jumelle
et rivale d’en face, du Nord, d’outre méditerranée. Souvent d’ailleurs,
on s’y croirait, à Phocée (ou est-ce l’inverse? Le doute est permis…).
Et comme il a bien fallu faire avec la topographie sinusoïdale, on retrouve
ici aussi les ruelles étroites et pentues à sens unique, les virages en
épingles à cheveu qui s’enchaînent, les épuisantes volées d’escaliers
et passages étriqués, reliant ces rues qui serpentent en lacets pour escalader
et redescendre les collines, les maisons à flanc de falaise et les routes
en corniche, s’ouvrant soudain au tournant sur une formidable vue panoramique,
comme dans le vieil Endoume, en somme… Les bougainvilliers, les glycines
et les chèvrefeuilles dégoulinent des murs, les feuilles des figuiers
et les grandes allées d’eucalyptus embaument l’air. On y trouve du charme
certes, mais Alger aurait pu être tellement plus: si pittoresque et belle…
si elle n’était si encombrée, bruyante et surtout si sale! Dans Alger-centre, cœur de la ville moderne bâti à l’époque coloniale, on
trouve aussi les grands boulevards, qui ont un gros air de parenté avec
leurs aînés parisiens ou avec La Canebière -la ressemblance est saisissante!
(ci-contre, ces arcades du front de mer, face à l’Amirauté ne vous rappellent-elles
pas celles de la rue de Rivoli?). De part et d’autre de ces avenues, de
majestueux grands immeubles à la digne allure parfaitement haussmannienne
(là aussi bâtis contre la vieille ville arabe, partiellement détruite
à l’occasion), mais tous sans exception avec les façades peintes en blanc
immaculé (en principe repeints chaque année -enfin la dernière couche
date de la visite de Chirac!), et les volets et balcons de fer forgé toujours
en bleu roi. Même les rideaux aux fenêtres (curieusement placés à l’extérieur
des volets!) sont rayés de larges bandes verticales bleu et blanches,
comme la culotte d’Obélix… Dès qu’on s’éloigne un peu du centre, on trouve de grandes cités HLM qui pourraient
être hideuses, mais sont elles aussi peintes en bleu et blanc, et se fondent
ainsi pas si mal dans le vieil Alger colonial... Comme ce beau vernis
cache bien les disparités! Ville blanche au liseré bleu donc, aux couleurs
de Marseille: le ciel et la mer, la lumière se reflétant sur l’eau… Vous
remarquerez aussi les kyrielles de paraboles qui pullulent sur les façades,
pour recevoir la télé satellite, compagne obligée des longues soirées
algéroises. Regardez bien, il y en a systématiquement 2 par appartement:
une orientée vers Astra pour capter les chaînes françaises, et l’autre
vers Arab 7 pour les chaînes arabes… “Qu’elle est jolie la ville de neige sous
l’éblouissante lumière” (Ca, c’est Maupassant) Il y a juste un peu plus de palmiers et une roche ocre pour rappeler qu’on
est ici en terre africaine, sur un autre continent. Destins d’églises C’est vrai d’ailleurs: l’alter ego de Notre-Dame de
la Garde s’appelle ici “Notre-Dame d’Afrique”. La vierge noire qui trône
à l’intérieur, richement parée comme les madones d’Andalousie et du Mexique,
était même surnommée “madame l’Afrique“ par les pieds-noirs. Elle est
censée protéger toute la population d’Alger (si si, c’est peint en grand
dans la coupole qui la domine : « Notre-Dame-d’Afrique, priez
pour nous et pour les musulmans »), mais plus personne aujourd’hui
n’appose sur ses murs d’ex-voto de métal ni de plaque de marbre en remerciement
d’avoir été sauvé d’un naufrage ou d’un incendie… car il n’y a plus guère
qu’une dizaine de personnes qui assistent à ses offices ou aux rares concerts
d’orgue, et encore sont-ce généralement des africains, et non plus des
européens. Pauvre madone délaissée… Notre-Dame n’est pas cathédrale pourtant : la véritable cathédrale est
en plein centre-ville, sur le boulevard Michelet (enfin Didouche Mourad),
au niveau de la place du sacré cœur (dont personne ne se souvient jamais
du nouveau nom). C’est une abomination architecturale, surnommée « Notre-Dame
du Gasoil » par les algérois car une énorme station-service est sise
juste à ses pieds (était-ce un pied de nez volontaire ?). Œuvre de
Le Corbusier, on aurait plutôt nous envie de l’appeler « Notre-Dame
de Tchernobyl », tellement on dirait simplement… une cheminée de
centrale nucléaire ! Je ne vois pas bien où est censée être la représentation
symbolique de la tente berbère de Saint-Jean ? De toute façon, je
ne l’ai jamais vue ouverte. Je crois que ce sont les deux seuls lieux de cultes encore réservés aux chrétiens.
La grande cathédrale Saint-Philippe dans la Casbah, qui était déjà une
mosquée avant les français, a été rendue à Allah après l’indépendance,
le belle église de pierre Saint-Augustin près du boulevard Victor Hugo
a elle aussi vu sa croix remplacée par un croissant, l’église de l’hôpital
Maillot à Bab-el-Oued a été transformée en triste centre d’archivage bibliothèque
(comme la cathédrale d’Oran), mais en revanche les multiples petites églises
de quartiers d’Alger, comme dans tous les villages colons en campagne,
sont en général fermées et abandonnées, et les toits se défoncent petit
à petit – même à moi, parfaitement laïque et agnostique, ça me fait mal
au cœur !… En tout cas, ma préférée reste de loin la noble et fière
basilique ocre aux coupoles byzantines de notre-Dame d’Afrique, qui semble
défier sa grande sœur marseillaise dans un face-à-face outre-méditerranée…
Le site même est similaire, en haut d’une colline, surplombant les quartiers
bas (Bologhine, enfin anciennement « Saint-Eugène »)… et dominant
la mer! La mer, qu’on voit danser… Curieux d’ailleurs, cette mer juste à portée, fantastique
Méditerranée, qu’il faut pourtant deviner car elle reste voilée, en cet
été aussi torride que précoce, derrière une brume de chaleur fort malvenue.
Même de la terrasse panoramique de l’hôtel, on ne distinguait que rarement
la ligne d’horizon, ciel et mer se confondant tout à fait. Il y a en permanence
des dizaines et des dizaines de bateaux dans la rade, qui semblent flotter
dans des limbes aux tons pastel le jour, et scintillent comme des étoiles
sur l’eau la nuit, en attendant de pouvoir venir à quai pour décharger.
Car Alger est avant tout un énorme port. Pas du tout un de ces ports de pêche
romantiques comme le vallon des Auffes, ou un port de plaisance comme
est devenu le Vieux Port à Marseille, non non, plutôt un énorme port industriel,
qui est là, en plein devant, en plein milieu, avec sa foison de grues,
de câbles, de machines, tracteurs, semi-remorques, ses entrepôts et ses
interminables empilements de conteneurs. Comme si la Joliette couvrait
tout le rivage de Marseille, du Vieux Port au Prado en passant par les
Catalans. Ca bouche la vue, ça gâche tout le paysage, et il n’y a plus
à Alger aucun accès à la mer, qu’on ne peut hélas qu’admirer de loin,
au-delà de la voie rapide, des grues et des hangars… Quel dommage! Quelle
frustration! Quand va-t-on mander un architecte paysager pour repenser
la façade maritime d’Alger de manière plus humaine et conviviale, déplacer
ce port tentaculaire, aménager une “promenade des français” bordée de
palmiers (ça existe bien à Oran), recréer un vrai petit port de pêche
traditionnel près du centre avec ses restaurants de poissons et crevettes
grillés, comme on en trouve encore en-dehors de la ville à La Madrague
ou à Fort-de-l’eau, virer la Marine et son accès privé pour rendre aux
algérois l’anse de l’Amirauté : la promenade de la jetée jusqu’au
phare, pour s’y balader au soleil couchant… Ce port a comme phagocyté
la ville; en tout cas il lui va volé la mer, qui est pourtant son origine
et ce qu’elle avait de plus beau… Ah, et puis il y a la fameuse casbah, avec la vieille forteresse ottomane
qui dominait la ville médiévale, l’ancienne médina arabe, qui connut son
heure gloire, mais végète aujourd’hui dans la misère. Encore réputée dangereuse,
tout le monde nous déconseille d’y aller, alors que je ne rêve que de
me balader dans ce labyrinthe de petites ruelles étroites, entre ces vieilles
demeures mauresques avec fenêtres en moucharabieh… Il nous faudra vraiment
trouver quelqu’un de confiance, qui la connaît bien et pourra nous guider,
un peu au moins, dans cette mystérieuse casbah interdite… Comme je t’envie, Abou Mohamed, d’avoir connu El Djazaïr du temps où il n’y
avait que galères et voiliers et point de cargo, des barques et des cordes
au lieu de grues, des jarres et tonneaux de bois à la place des conteneurs,
et comme ceinture de fiers remparts avec les 6 grandes portes que l’on
fermait la nuit, plutôt que cette muraille de HLM… Trafic
d’enfer La
journée en ville, c’est la frénésie : une vraie fourmilière !
Sur Didouche Mourad (ex rue Michelet), la grande artère commerçante qui
débouche sur la majestueuse Grande Poste néo-mauresque (comme les Champs-Élysées
donnent sur l’Arc de Triomphe…), sur la rue d’Isly (dont personne n’use
jamais le nouveau nom arabe), et dans tout Alger-centre et la pointe de
Bab-el-Oued -le centre colonial qui est encore de la cœur de la capitale-
ça grouille de monde ! On reconnaît une ville au bruit de ses rues.
Ici, ce sont surtout les sifflets des flics de la circulation toujours
dépassés, et les palabres et klaxons énervés des conducteurs. Conduire
dans Alger est un défi qui tourne souvent au cauchemar.
La ville est aujourd’hui surpeuplée, avec un cœur historique prévu
à la base pour seulement quelques centaines de milliers d’habitants, mais
il y en a près de 3 millions aujourd’hui… Bruit, fureur, poussière, chaleur,
klaxon, pris à parti, insultes, conducteurs indisciplinés, carrefours
bloqués, raccourcis auxquels tout Alger semble avoir pensé, feux tricolores
inexistants… Cependant, on a trouvé une technique : il faut en fait
être deux pour conduire: un pilote au volant et au klaxon avec le bras
gauche dehors pour injurier, et un copilote avec la tête et le bras droit
dehors, à faire de grands signes de la main aux autres conducteurs ou
vérifier si ça passe. On a trouvé un truc quand la voiture de devant cherche
à se faufiler: il suffit de klaxonner, alors le conducteur lève les bras
pour vous agonir d’insultes, et pendant ce temps, hop, on a vite fait
de se glisser devant lui… La loi de la jungle, vous dis-je ! Le
réseau routier est inadapté, et les transport en communs totalement insuffisants.
A tel point que les grandes sociétés ou administrations qui peuvent se
le permettre ont mis en place leur propre réseau privé de bus pour ramasser
et raccompagner leur personnel. Pour essayer d’améliorer la circulation,
il y a des travaux de ponts et tunnels dans toute la ville, et des carrefours
névralgiques comme le fameux Addis-Abéba (anciennement : Gallieni)
sont fermés -comme si on fermait la place de l’étoile pendant 6 mois pour
construire des tunnels et passerelles! Résultat : la circulation
est plus que perturbée, infernale, tout le monde est obligé de prendre
des détours, passer par des petites rues, et forcément rester des heures
coincés dans des bouchons abominables! Par ailleurs, il n’y a quasiment
aucun feux de signalisation… Que des ronds-points, ou alors la loi du
plus fort, du plus gros, ou du plus gonflé ! D’autant
que les algériens ont une conduite encore pire que celle des marseillais
et des italiens (mais tout de même pas au point des pakistanais). Strictement
aucun respect du code de la route, encore moins des priorités et toute
notion de courtoisie ou distance de sécurité est totalement inconnue…
Ils remontent les rues à contresens, ou coupent carrément en roulant sur
la file d’en face en sens inverse, sans complexe, reculent sur l’autoroute,
en faisant éventuellement des appels de phares (ça ils connaissent) pour
dégager le chemin, ignorent absolument l’usage des clignotants, s’entassent
à 10 dans des voitures poussives (fenêtres ouvertes, toutes les voitures
algériennes semblent avoir 4 bras !), et très grave : ils asseyent
des petits enfants devant sur leurs genoux, et sans ceinture ! Sans
parler des nombreux piétons suicidaires qui traversent l’autoroute tranquillement
et impunément… Pas surprenant que les accidents et carambolages soient
si fréquents et nombreux… Toute une éducation à refaire ! Dans un
souci de bench-marking et de partage des compétences, et en remerciement
pour la protection civile algérienne venue prêter main-forte aux pompiers
français dans leur combat des incendies en Corse, on devrait peut-être
envoyer Sarkozy en Algérie en mission-redressement sécurité routière pour
quelques mois… Virginie
Drocourt Nota Bene :
Vous n’êtes naturellement pas sans savoir que 2003 est « l’année
de l’Algérie » en France, et dans ce cadre, deux expos à aller voir
absolument à Paris :
Et
bientôt à Marseille :
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