Chronique 50
San Francisco, 26 mars 2003

Littérature de voyage
On the road…
Clichés d'un road trip sur les routes mythiques de Californie

« There is a certain romance about American culture and our love for the open road. Many icons and legends have been made throughout the history of the automobile and the highways they traverse. Famous roads such as U.S. 66 and the National Road hold many stories and tales, but what about the highways themselves? ».
www.aaroadtrips.com
« Faites dix mille miles à travers l’Amérique, et vous en saurez plus long sur ce pays que tous les instituts de sociologie ou de science politique réunis ». Jean Baudrillard, Amérique, 1986.

Chiche? Départ de San Francisco, Ocean beach, pour près de 3000 miles « sur la route »…


California 1 : Pacific Coast Highway

La Pacific Coast Highway est un petit bijou, une superbe route sinueuse à deux voies seulement qui longe toute la côte Ouest, du Canada au Mexique : parfois le long des plages ou entre les dunes, tantôt au pied des falaises, tantôt en surplomb ou dangereusement suspendue à mi-pente (et attention : aucune barrière pour empêcher de basculer dans le vide!). Sur la portion Californienne, elle s’appelle highway one, et elle est certainement une des plus belles routes américaines (et ce bien avant que Sharon Stone l’immortalise dans la course-poursuite de Basic Instinct…). Par la « one », il faut des milliers de virages et plus de 10 heures de temps pour faire San Francisco-Los Angeles, alors qu’il en faut compter moitié moins en prenant l’interstate 5 qui coupe par l’intérieur… Mais longer les rivages de l’Océan Pacifique tout du long : quel spectacle !

J’ai toujours rêvé de faire cette route en petite cabriolet, cheveu au vent, en écoutant les Beach Boys… Mais même quand j’avais ma spitfire rouge adorée (« Barbara Ann », si si…), je n’ai jamais osé risquer de l’amener sur une telle longueur ; pas bien sûre qu’elle aurait tenu le coup jusqu’à la cité des anges ! (soupir…). Eh non, hélas, la grande époque des golden dot-com years est révolue, et c’est donc en Dodge Neon, la « compact » de location de base chez Dollar-Rent-a-car, que j’ai repris le volant (mais lecteur CD et air conditionné en série…)


Pacifica, Half Moon Bay, Santa Cruz, autant de noms synonymes de paradis des surfers. A y regarder de près, on distingue en effet sur l’eau des dizaines de pingouins épars : autant de surfers emmaillottés dans leur combi intégrale noire ultra-moulante de 7mm d’épaisseur (l’eau est à 10 degrés celsius !), qui flottent assis entre deux eaux ou pédalent avec les bras pour remonter les vagues, à plat ventre sur leur planche. Ca me rappelle immanquablement ces petits poissons et grenouilles quand j’étais gamine, qu’il fallait remonter pour les faire nager tout seuls dans la baignoire… Je ne comprendrai jamais le degré de masochisme qu’il faut aux surfers pour vouloir ainsi lutter et se les geler dans une eau glaciale pendant des heures entières d’ingratitude, tout ça pour à peine quelques minutes (voire secondes) de glisse… mouaich….


Monterey, « charmant port de pêche » est-il écrit sur la brochure (Ah bon ? Elle date du siècle dernier, sans doute ?). Ses anciennes conserveries de sardines vantées par Steinbeck, ses restaus à poisson grillé, et son grand aquarium d’eau de mer. A retenir : les requins tachetés comme des léopards, un phoque qui se taille allègrement une pipe tout en faisant des galipettes dans l’eau (public mâle abondant et admiratif !), et une collection inégalée de méduses de tous acabits dansant silencieusement sur leur mystérieuse chorégraphie de natation synchronisée, sous des éclairages psychédéliques : somptueux !

AgrandirBig Sur. C’est le titre d’un roman de Jack Kerouac (le même gars qui a écrit le mythique « On the road », d’ailleurs), et que je n’ai jamais réussi à terminer, mais c’est surtout un site extraordinaire. Les collines. Des falaises qui tombent dans l’océan. Les rangées successives de vagues qui viennent se dérouler et se casser sur les rivages. Beauté naturelle, brute, sauvage, grandiose, un paysage à couper le souffle ! On a envie de s’arrêter à tous les virages pour prendre des photos…

San Simeon. Côté collines, pas le temps cette fois-ci de visiter le Xanadu de Citizen Kane (Hearst castle), mais il faudra y revenir ; un tel délire de milliardaire mégalomane et frustré de la vieille Europe n’a pas son pareil au monde ! Côté rivage, grosse peuplade d’attendrissants petits phoques (dits lions de mer), mais aussi d’éléphants de mer, une variante, énorme (au moins quatre à cinq fois plus gros), immonde, avec ce monstrueux grouin qui retombe telle une trompe rabougrie : beark, vraiment, vraiment moche ! Ils lézardent tous sur le sable, étalés les uns contre les autres, au grand plaisir des homo sapiens qui se bousculent pour regarder ces jouisseurs…

SoCal : Highway One devient PCH

On arrive en Californie du sud (dite SoCal comme Southern California) : un autre monde, assurément. La Highway One est ici surnommée plutôt « PCH » pour les intimes (Pacific Coast Highway). Pas mal de Harley Davidson bien lustrées, montées par des blousons de cuir avec drapeau (mais personne n’égalera jamais Peter Fonda dans Easy Rider)… Ca doit être mythique, de descendre cette route en Harley (quand on aime la moto !…). Le soleil descend et s’enfonce progressivement, plein Est, sous la ligne d’horizon de l’Océan, vers le pays du soleil levant. C’est fou, de toutes les fois où j’aurai pris cette route, j’ai toujours tellement traîné au début que finalement, je n’aurai toujours jamais vu San Luis Obispo, Ventura, ni Malibu de jour…

Verre obligé dans un bar branché à Santa Barbara, qui n’est pas seulement un pitoyable soap opera, mais surtout un gros campus. Foule estudiantine jeune, très jeune, qui doit à peine avoir l’âge légal de boire une Corona !  On prend presque un coup de vieux…

Beverly Hills, banlieue résidentielle de luxe totalement aseptisée. De chaque côté des grandes allées de palmiers (d’immenses bâtons tout fins surmontés d’une minuscule petite touffe, tout en haut : ma mère les a baptises les rince-biberons…) : ces énormes maisons de millionnaires, retranchées derrière leurs barrières automatiques et leurs systèmes de sécurité, avec devant chaque entrée un petit panneau de mise en garde « Security alarm, armed response ! ». Gare au gorille !

Los Angeles. Vue panoramique depuis les hauts de Mulholland drive sur les gratte-ciel de « downtown L.A. ». Le point de vue qui domine toute la ville doit être en fait ce fameux panorama hyper connu de nuit, sur les lumières de la ville, qui s’étend et scintille à perte de vue, avec au premier plan ces deux coulées de lave luminescentes, ces longs serpents jumeaux, l’un de lumière rouge et l’autre blanc, qui se glissent et se lovent lascivement l’un contre l’autre. Mais de jour, bof, pas terrible, la magie des lumières disparaît pour laisser place à l’orgie urbaine de béton : difficile de faire abstraction de ces bruyantes autoroutes au premier plan. Et surtout, on distingue à peine les immeubles de downtown au loin, qui apparaissent flous sous la chape de pollution : tout baigne dans cet épais bol de brume gris-jaunâtre qui enveloppe toute la ville. Et puis il faut reconnaître que la silhouette de Los Angeles est tellement quelconque, dérisoire, insignifiante, par rapport à la skyline de tant d’autres villes américaines, aux immeubles à l’architecture unique, qui les rend identifiables au premier coup d’oeil.

Santa Monica, Venice beach : la voilà, l’image de la Californie telle qu’on se l’imagine dans le reste du monde, celle de « Alerte à Malibu »… L’immense bande de sable, les allées de palmiers, les rouleaux de vagues, les surfeurs bronzés, les filles siliconées… Mais justement cette fois-ci, pas vu trop de pépés à poitrine gonflée sur rollers avec short en jean qui rentre dans la raie des fesses, ni de gros black avec chaîne en or qui brille et faisant des figures de skate sur fond de hip hop. En effet, il fait très beau, mais c’est encore l’hiver, on doit être hors-saison... Ou alors peut-être n’est-ce que le dimanche ? En tout cas, le long de la promenade de plage de Venice, on trouve plutôt les stands à tatouage, les diseuses de bonaventure sur cartes de tarot, et les bâtons d’encens. Bah, on reviendra en plein été louer des rollers pour profiter du spectacle en longeant la plage…

agrandirPCH continue vers le sud le long des beach-towns qui bordent la côte jusqu'à Tijuana (encore doit-elle avoir son équivalent au-delà de la frontière mexicaine, qui continue sur la peninsule de Baja California).  Un des bonheurs à sillonner les routes de Californie du sud, c’est de croiser ou dépasser de nombreuses vieilles autos classiques et charmantes petites décapotables, comme on n’en voit plus guère ailleurs, vestiges d’une grande époque révolue. La Californie est un climat chaud et sec, propre à la bonne conservation des véhicules, et surtout à la concrêtisation des rcves de gamin… Les vieilles Cadillacs et Mustangs, la somptueuse Chevy Belair 1957, mon idole la Corvette 1960, et autre Falcon, Thunderbird, ou encore la rare petite Austin Healey. Et aussi ces grands paquebots des années 70 comme l’immense Impala, totalement impossible à garer en ville... Ce sont souvent les mexicains qui les adorent, les lustrent et les bichonnent, et les accessoirisent avec des signes de métal doré, et des amortisseurs hyper mous qui les font rebondir mollement au ras du sol aux feux rouges…

Toutes les beach towns ont leur «pier», un grand ponton de bois qui s’enfonce dans l’océan, pour les pêcheurs, pour la promenade, pour admirer le coucher de soleil et mater les surfers de plus près, pour couper l’horizon trop linéaire de l’Ocean infini… Il faut absolument goûter le délicieux « fish tacos » (adaptation luxe du sandwich de base mexicain, l’équivalent local de notre jambon-beurre) chez Duke’s, à Huntington Beach, temple de la surf culture, sous de vieux long board en bois accrochés au plafond et aux murs, avec photos noir et blanc des ancêtres et précuseurs dans les années 50. Grand sourire aux dents blanches : ils sont ici élevés au statut de héros par toute une génération de beach boys…

Newport Beach, île de Balboa : en déambulant dans les petites allées fleuries, on se prend à rêver, s’imaginer avoir là sa retraite d’artiste, petite maison en bois peint avec terrasse côté soleil et petit ponton privé en bois juste devant, pour accrocher son voilier et ses kayaks de mer… Mais à 2 millions de dollars au bas mot la moindre -vraiment petite- maison, on remet vite les pieds sur Terre…

San Diego. Capitale de la US Navy. Donc forcément ultra-républicaine, pro-Bush, pro-war. En sortant de San Francisco l’enfant terrible activiste pacifiste, ça fait forcément tout drôle ! San Diego est au contraire à la tête du mouvement « support the troops » (il faut dire que plus de 20% des troupes yankees actuellement en Irak viennent de San Diego) . Alors quand on allume la radio, on tombe forcément sur des interviews de fiancées de marines qui sont au front : elles militent pour l’honneur de leur homme et de la patrie. Il y a des drapeaux partout, sur les fenêtres, sur le gazon ($1.99 la pancarte grand format prête-à-planter), des affiches patriotes collées à l’entrée de tous les magasins sans exception, des autocollants sur les vitres arrières, et même des petits drapeaux à accrocher sur le haut  des portières de la voiture pour flotter au vent (certains poussent le zèle jusqu’à mettre 4 drapeaux, un sur chaque portière !).

Mais San Diego est aussi LA grande ville des surfers. A se demander comment beach bums et navy boys cohabitent. Plutôt bien, en fait, semble-t-il assez curieusement. Sur les superbes plages branchées et ultra-bondées de Pacific Beach (PB en jargon local) et Mission Beach, on reconnaît à peine les multiples groupes de petits jeunes qui couvrent littéralement la surface de cette plage pourtant immense. Finalement, outre le fait d’avoir tout juste passé 21 ans, ils ont pas mal de valeurs communes : les muscles saillants, les gros et multiples tatouages, la plage, les filles en bikini, la bière, le sens grégaire qui les pousse à ne se déplacer et s’exhiber qu’en tribu…

· D’un côté donc, les surfers : caleçon de bain taille basse, long sous le genou, à motif hawaïen à grosses fleurs, avec des packs de Bud Light (Tiens? Pourquoi «light»? Mais j’en ai même vu carrément amener sur la plage un keg entier, conservé au frais dans une énorme poubelle-bac à glaçons! On aura tout vu !), et qui jouent à l’indémodable classique du far west : le « fer à cheval » (hautement sportif et culturel, comme activité !).

·  De l’autre côté, les marines avec leur crâne rasé aux normes, qui viennent eux aussi se pavaner en public : torse nu bien musclé et fort tatoué, avec non pas un pendentif en bois ou colllier de corail mais la faleuse double plaque de metal qui identifie tout militaire. La principale différence est qu’ils gardent le blue jean (taille basse idem) et restent debout, avec lunettes de soleil (Oakley, les mêmes) et surtout parlent bien fort dans leur téléphone mobile pour se faire remarquer… surtout en ce samedi, deux jours après le début de la guerre, les voilà les jeunes G.I.s, les nouveaux héros de l’Amérique, qui viennent tester leur popularité…

Voilà matière à méditer, au soir tombant, sur l’île de Coronado... Il est temps de s’accorder un pur moment de bonheur grand luxe : un Mai-Tai, délicieux cocktail hawaïen, sur la terrasse du célébrissime hotel del Coronado, mythique s’il en fut, auquel Marilyn a définitivement associé sa pulpeuse image… Enfin dommage tout de même que ce paisible coucher de soleil soit gâche par le bruit des F16 qui décollent et des gros hélicos Chinook à double hélice qui reviennent bruyament au bercail, dans la base toute voisine…

Bon, on a oublie les passeports, alors vu les contrôles renforcés aux frontières depuis qu’on est entrés en guerre et repassés en alerte orange, ce n’est même pas la peine d’essayer de passer la frontière mexicaine pour aller à Tijuana…On va plutôt rentrer dans l’intérieur des terres, y chercher l’âme de l’Amérique profonde…

agrandirHistoric Route 66, “the Main Street of America”

« Historic » car officiellement, elle n’existe plus ; elle est donc passée dans l’histoire. Devenue désuète et insuffisante, trop petite, trop sinueuse, trop lente, trop dangereuse, elle a ete déclassée, remplacee par le tout nouveau reseau national transcontinental d’autoroutes « interstates » a 4 ou 6 voies, et elle ne figure plus aujourd’hui sur aucune carte routière. Sauf la carte spéciale « route 66 » vendue aux rares motards et touristes français aficionados…Car si cette route est légendaire pour nous autres européens, et nous évoque à elle seule le symbole des grands espaces et de la liberté américaine, pour les américains eux-mêmes en revanche, elle est totalement tombée aux oubliettes et ils ne comprennent pas d’où nous vient cette passion ? A part les vieux routards fétichistes en Harley Davidson, qui se soucie de cette vieille deux voies qui tortille, alors qu’il y a une superbe large autoroute toute droite juste à côté qui permet de faire le trajet en nettement moins de temps ? « Ils sont fous, ces romains »…

Mais sacrilège : nous la prenons à l’envers ! On part en effet de Santa Monica vers l’Est, alors que bien sur le trajet mythique est dans le sens inverse: près de 4000 km de Chicago, vers le soleil -et les promesses !- de la Californie ! Enfin de toute façon, on ne l’empruntera évidemment que sur une partie, la portion californienne (l’arrivée, donc, normalement), en remontant jusqu’à la frontière d’Arizona.

« Emprunter la 66 originale dans son intégralité est la meilleure façon de connaître le vrai visage de l'Amérique et de satisfaire tous les nostalgiques des années 40-50 » ai-je trouvé sur un site français qui propose de faire la totale en moto en 10 jours… Inaugurée juste avant la grande crise de 29, les ruinés l’ont empruntée pour tenter une nouvelle vie en Californie (« road to opportunity »), tandis que les programmes du New Deal finançaient la maintenance de la route, puis pendant la guerre les militaires l’ont largement utilisée, et enfin le boom d’après-guerre, la prospérité des années 50 et le développement des automobiles ont entraîné une explosion du tourisme, et donc du trafic. Les opportunistes ont ouvert des business tout du long de la route pour servir tous ces voyageurs : étapes-stations avec de l’essence et assurant le service et la maintenance des véhicules, snacks, diner’s et drive-ins pour se sustenter, terrains de camping, et un nouveau mode de logement pratique et pas cher inventé tout exprès pour les automobilistes : le motel ! Finalement, l’Amérique moderne s’est aussi inventée le long de cette route… C’était l’age d’or !

D’ailleurs, flûte, on a raté le premier MacDonald à San Bernardino, on a du passer devant sans même le remarquer : à l’origine juste un petit restau-étape pas cher pour casser la croûte vite fait, en fait véritable lieu de naissance de la « Fast Food Nation », et donc par extension symbole de l’économie et la culture américaine : ingrédients simples, produits uniformes, menus standards, service limité au strict nécessaire mais rapide et efficace, consommation à la chaine, packaging prêt à emporter, marketing global, marque mondialement identifiable et reconnue, toutes les clefs de l’impérialisme américain… Quel parcours hallucinant ! Dire que tout est parti d’un misérable petit snack sur le bord de la route 66… En revanche, impossible de rater le Wigwam motel, le comble du kitsch, avec ses tipis en plastique aux couleurs pastel, et son impayable logo : « do it in a tepee !». Dire qu’à la grande époque des transhumances des fifties / sixties, c’était le top du chic; on a du mal à y croire!

Des deux côtés de la route, pas mal de bâtiments à l’architecture typique et facilement reconnaissable des fifties et sixties qui ont du connaître des jours meilleurs, mais sont aujourd’hui plus ou moins entretenus -voire carrément abandonnés pour certains- depuis que le trafic s’est dévié sur les freeways… Mais tout cela évoque encore le rêve américain des années 40, 50 et 60, gardent malgre tout le souvenir de cette époque insouciante : de vieilles enseignes kitsch colorées, immenses et flashy, des motels à la peinture décrépite, des diner’s aux carreaux noir et blanc, encore quelques néons qui ont survécu, des stations service abandonnées avec encore ces superbes pompes à essence à l’ancienne peintes en jaune ou rouge… De temps en temps, un petit musée miniature, ouvert et tenu par quelques fans invétérés, avec memorabilia et americana, et de vieilles cartes, bouquins, néons, pompes, pub, pancartes, photos, qui attestent de la gloire et la grandeur passée de la route 66. Le temps s’est comme arrêté…

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Passée l’interminable grande banlieue de Los Angeles, la route devient peu à peu déserte, de moins en moins entretenue, et on ne croise quasiment plus une voiture. Comme officiellement elle n’existe plus, même avec la carte spéciale route 66, il n’est pas toujours facile de la suivre car la carte n’est pas assez détaillée, la route a souvent changé de nom (une portion ici s’appelle « National Old Trails Highway »), on peut facilement rater des virages, certaines petites portions ont été condamnées, abandonnées et/ou remplacées, et la nouvelle direction n’est pas toujours indiquée… Bref,  on s’est perdus plus d’une fois à certaines étapes, à tourner en rond sans trouver où la reprendre…

agrandir« A desert road from Vegas to nowhere… ». Bagdad café. Si si, l’endroit existe vraiment ! Et tout est exactement comme dans le film : le bistro, les chambres du motel, quelques « trailers» en métal aux vitres cassées, le zinc, le vieux piano... Pareil, sauf le grand réservoir à eau, qui a hélas été arraché par un vent violent il y a quelques années. Dommage, ça donnait du cachet. Et je l’ai cherché, mais n’ai pas trouvé non plus le thermos avec le logo de la ville de Rosenheim, déception ! Mais plein de photos du film dans la salle du fond. On s’y est arrêté pour déjeuner, c’était obligé : hamburger frites avec ketchup, forcément. La tenancière n’est pas Brenda-la-noire ni Jasmine-l’allemande (les noms de mes deux premières voitures !), mais est un sacré bout de femme à poigne, à crinière blanche et grand humour, qui nous a même spontanément autographé sa carte ! Quelle dérision quand même, en ces temps troubles de guerre avec l’Irak, de se retrouver ici… à Bagdad ! Qu’est-ce qui a bien pu pousser sans doute un irakien en exil à nommer ainsi ce coin perdu de bout du monde, d’après l’ancienne et lointaine capitale arabe de plusieurs millions d’habitants ? La chaleur du désert, sans doute…

Roy’s, étape improbable à Amboy, en plein désert, juste après un passage à niveau. Oui, là, ici, au milieu de nulle part. Un motel aux volets fermés, une station essence désaffectée, un réservoir renversé, et même une petite église en bois en ruine (gueuh ?), le tout abandonné. Et surtout un « ice cream parlor », qui paraît-il sert les meilleurs milk-shakes, fermé aussi à mon grand désespoir. Mais Roy’s a vraiment des allures d’étape fantôme, arrêt obligé de tous les touristes pour photos ! Avec encore cette immense pancarte visible à des miles, une voiture de police type paquebot du début des années 70, et un vieux bus qui doit dater des années 50, vert amande décoloré, ouvert à tout vent, avec même la déco kitsch à l’intérieur : on dirait que tout a été placé là, volontairement, comme un décor, pour tourner un film ou faire des photos…

Le désert du Mojave. Mythique. Juste quelques cactus et « joshua trees » isoles dans la rocaille, et une ligne de montagnes roses au loin. On suit la double ligne jaune qui fuit vers l’horizon, parfois toute droite, parfois en ondulant. Territoire immense, nature sauvage pour ainsi dire jamais apprivoisée. Sentiment d’espace infini -et donc, de liberté- sans aucune mesure avec ce que l’on peut connaître dans la vieille Europe étriquée. On a tout le temps du monde… Un train interminable, d’au moins 50 wagons est arrêté au loin, en pleine brousse. On s’attend presque à voir surgir une escouades d’indiens avec plumes et chevaux. Mais rien. Le silence. La route est jalonnée de pneus éclatés sur le bord de la route. On croise une voiture, peut-être deux, on se fait des signes : « tiens, un autre fana ! ». Les lunettes de soleil, Elvis en stéréo, une bouteille d’ice tea dans le slot prévu spécialement à portée de la main… C’est le bonheur ! Ah oui, un jour, promis, je le ferai, le « coast to coast », la traversée complète de tout le continent américain, en un mois ou deux…

California 190, « the lost highway »

Petite incartade dans le Nevada pour une soirée « plein les yeux » à la folle Las Vegas. Comment décrire Las Vegas, quand tout semble déjà avoir été dit ? J’avais détesté la première fois que j’y étais allée en 97 : j’avais trouvé terriblement déprimants ce mauvais décor de carton-pâte et ces tristes figures de petits vieux qui passent nuit et jour scotchés sur les machines à sous, à automatiquement remettre une pièce dans la fente et appuyer sur le manche, comme des zombies, sans même sembler s’amuser… Mais retournée 3 ans plus tard, avec tous ces grands hôtels « nouvelle génération » qui ont poussé comme des champignons, tout semblait avoir changé et j’avais vraiment adoré. C’est ça aussi, Las Vegas. Ce côté toc, écoeurant, et pourtant fascinant, et toujours surprenant…Un parc d’attractions grandeur nature pour « les grands »… Toujours trop. Orgiaque. Mais génial, malgré tout…

Quelques heures intenses dans les néons, le grandiose et les lumières phosphorescentes, la bataille des pirates du Treasure Island, les fabuleuses chorégraphies de fontaines sur le lac devant le Belagio, les plafonds peints, les canaux et boutiques du Venetian (on s’y croirait !), les petites ruelles style « Amélie Poulain » figurant un Paris de fantasme tout beau tout propre tout mignon, près de la tour Eiffel, qui plonge ses pieds dans le casino du sublime hotel Paris (le plus beau, sans conteste et en toute objectivité !). Et surtout, partout, tout le temps, le bruit assourdissant et la fureur métallique des pièces qui dégringolent dans les machines à sous…

Les lueurs nocturnes de Las Vegas s’éloignent peu à peu dans le rétroviseur, mais à plus de 60 kilomètres, on distingue encore la boule de lumière... Combien de kilowatts sont-ils consommés par heure dans cette ville de l’excès ? Retour enfin dans l’obscurité et le silence du désert. Une grosse heure de route, mais on peut difficilement faire contraste plus violent, entre la civilisation et le néant…

agrandirL’Amargosa hotel est une grande hacienda isolée, dans un village fantôme, une cité perdue, au bord d’une petite route. Non, ce n’était même pas un village, juste une ancienne jonction ferroviaire, avec encore quelques bureaux et hangars en ruine, datant du temps où il y avait beaucoup de frêt pour transporter le minerais, extrait des mines voisines. L’hacienda logeait les mineurs et les employés. Aujourd’hui, elle semble abandonnée, mais ne l’est pourtant pas. Une comédienne new-yorkaise passionnée de danse et tombée amoureuse du désert a repris et décoré cet hotel comme une ancienne mission, plein de peintures surprenantes, et il y a même une petite salle d’opéra comique, encore en fonction, mais si, ici en plein désert, comme au bon vieux temps des saloons, et justement, pas de bol, on va rater la représentation du lendemain ! Damned ! Si près de Las Vegas, et pourtant tellement isolé… Je suis restée deux fois, et les deux fois, nous étions les seuls clients, la seule voiture garée devant l’allée d’arcades. La gérante avait simplement laissée la porte de notre chambre ouverte, avec le reçu, et les piles de gros draps en coton, couvertures et autres quilts sur le lit. Un autre petit bout du monde, à chérir… J’adore cet hotel, vraiment. Un vrai cliché. On se croirait encore dans un décor de film, c’est magique ! D’ailleurs, apparemment, David Lynch y a tourné un film qui s’appelle « Lost Highway Hotel » (je viens de découvrir ça après coup en surfant sur le net !) : il faudrait vraiment que je le loue pour visionner ça : Bagdad Café version Noir, ça doit valoir le coup!…

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California-190, la highway perdue, nous mène à l’entrée de la fameuse vallée de la mort. Pas un désert de sable ni de dunes comme on l’imagine, mais de roche et de cailloux. La lumière y est crue, aveuglante; les photos sont systématiquement sur-exposées... A perte vue : rien, rien de civilisé en tout cas. Pas un indice que l’homme ait jamais pu laisser sa trace ici, sauf des dénominations apocalyptique sur la carte: la vue de Dante, la crique de la fournaise, mauvaise eau, les puits du tuyau de poele, le terrain de golf du diable…C’est immense, sec, rude, inhumain, lunaire. Trop brut pour être beau, mais impressionnant. C’est Mars, la planète rouge. On voit les sommets de la Sierra Nevada en face, encore un peu enneigés comme l’indique leur nom, et au loin tout en bas ce qui ressemble à des flaques de boue séchée et craquelée, et une vaste surface blanche qui brille comme neige au soleil, mais quand on descend voir de près, on réalise qu’il s’agit en fait d’une épaisse couche de gros sel, exudé par la terre (on est à 86 mètres sous le niveau de la mer)… Sûr que rien ne va jamais pousser ici ! Pas pour rien que la région est infestée de zones de tirs et d’essais de la Navy…

agrandirPartout, des  montagnes arides, qui rappellent énormément l’Afghanistan, surtout cette région, à l’ouest de Bamyan, surnommée « la faille du dragon ».… Les terres sont jaune, ocre, rouge, rose, et même un peu de vert. Car il y a plein de minéraux dans ces entrailles volcaniques, de gisements métalliques… et donc de mines ! Argent, silices, quartz, borax, etc. Rhyolite, ville-fantôme au Nord de la vallée, n’est plus qu’un champ de ruines : elle a en fait été au début du siècle une « boomtown » qui s’est enflée tout d’un coup. Il y a eu jusqu'à 10,000 habitants, mais elle n’a même pas vécu 10 ans et a été totalement abandonnée dès la mine épuisée. Il y avait des magasins, des hotels, une école, des usines électriques, une fonderie, une banque, une gare et des entrepôts ferroviaires, même un petit hôpital tenu par le syndicat des mineurs. Mais il ne reste aujourd’hui qu’une ou deux carcasses de camionnettes antiques, un wagon, quelques murs de ciment et rares baraquements d’une pièce de bric et de broc encore debout, et le reste en bois s’est effondré. Mais par terre, on trouve encore des restes, du métal rouillé, des ressorts de lit... La nature a repris ses droits !

 

Comme la vie semble éphémère dans ce cadre sauvage, pétri par la géologie, où les entrailles de la terre semblent exposées au soleil. Ce pays est peut-être jeune, mais sa terre est millionnaire… Difficile auss de réprimer une pensée pour les premiers pionniers arrivés avec leurs roulottes qui se sont retrouvés perdus ici, à chercher un passage vers l’ouest et l’or promis de Californie, et ces opportunistes itinérants, qui se sont échiné le dos ici à Rhyolite pour extraire le borax…D’ailleurs, au fait, à quoi ça sert, le borax ?…

 

El Camino Real, la première route de Californie…

El Camino Real était la piste qui reliait les missions franciscaines, à peu près distantes les unes des autres d’une journée de cheval (en fait, un camino real, il y en a un aussi de l’autre côté, au Nouveau Mexique…). La première mission dans ce qui est aujourd’hui la Californie a été fondée à San Diego en 1769. En l’espace de 50 ans, 21 ont été fondées au total par les missionnaires espagnols, en remontant lentement vers le Nord, jusque Sonoma, dans la vallée des vignobles au-dessus de San Francisco. Puis en 1821 le Mexique est devenu indépendant : les missions et leurs vastes terres ont été expropriées, et enfin près la fin de la guerre américano-mexicaine, la Californie est devenue en 1850 le 31ème état de l’union (des Etats-Unis d’Amérique), achevant de condamner les missions à l’abandon et donc à la ruine. Ce n’est qu’à la toute fin du 19ème siècle que les artistes ont soudain découvert un attrait romantique aux missions, et qu’elles ont commencé à être restaurées, en tant que témoins de la pré-histoire de Californie, celle d’avant la découverte et la ruée vers l’or.

Encore aujourd’hui, l’ancien chemin royal a perduré et est devenu souvent un gros boulevard, qui a souvent changé de nom. Mais on retrouve parfois « El Camino Real » dans son appellation d’origine : l’avenue traverse par exemple toute la Silicon Valley, qui s’est développée autour de son axe... Mais là aussi, elle a été doublée d’une autoroute : la US-101, qui suit presque tout du long l’itinéraire d’origine du camino. En arrivant en Californie il y a quelques années, j’avais juré que je mettrais un point d’honneur à visiter chacune des 21 missions. Je m’arrête à l’occasion quand je passe à côté d’une, mais je n’en ai à ce jour visité que la moitié environ, et ma foi, elles ont quand même toutes un air de famille ...
Il faut toutefois passer outre l'immanquable boutique de bondieuseries à l'entrée, et découvrir la charmante église rustique, toute en longueur, avec ses poutres et bancs en bois, les cuisines et la cantine, les allées d'arcades, les tuiles romaines, les cloches, les jardins de plantes aromatiques : bah, ça ressemble finalement à n'importe quelle église romane de village comme on en connaît partout en Europe, mais avec un look méditerranéen qu'il est fort agréable de retrouver ici, si loin de notre culture latine...

Les missions étaient de petites colonies auto-suffisantes, dont le but principal était de civiliser et évangéliser les indiens, mais aussi d’occuper le territoire et servir de base à une exploration plus poussée dans l’interieur. Les frères franciscains avaient peut-être fait voeu de pauvreté, mais ils avaient le sens des affaires et savaient diriger leur business! Les missions étaient organisées en communauté, pour faire travailler les indiens, parfois des milliers, aux champs mais aussi en ateliers. En fait les missions étaient de vrais centres de production artisanale et agricole ; certaines carburaient même très bien, de vraies grosses entreprises !

Ces missions sont à l’origine du peuplement occidental de la Californie (on a envie de dire la « colonisation » !) et de son développement ; elles ont en tout cas donné naissance à la quasi totalité des villes californiennes commençant par « san » ou « santa », et ça fait un paquet !… Il y en a même une au nom d’un roi de France:  « San Luis, rey de Francia » (aucune grosse ville n’en a émergé, cependant…). Yerba Buena (bonne herbe et verte prairie!) est ainsi devenue San Francisco, diminutif de la mission de « San Francisco de Asisis ». San Jose, au sud de la Silicon Valley, qui est en fait largement plus grosse que San Francisco aujourd’hui, s’appelait à l’origine « el pueblo de San Jose de Guadalupe ». Los Angeles aussi est issue d’un « pueblo » le long d’El Camino Real, dont le nom complet était « el pueblo de Nuestra Senora la Reina de Los Angeles »…Ca sonne tout de suite plus sympathique !

agrandirInterstate-5 : Golden State Freeway

Retour vers le Nord, comme un retour vers le futur : une simple bretelle d’autoroute nous transporte du 18ème au 21ème siecle (qui a dit que l’Amérique n’avait pas d’histoire ?). L’interstate 5 est la colonne vertébrale de la côte Ouest. Elle passe beaucoup plus à l’intérieur que la touristique Pacific highway, pour pouvoir tracer tout droit, au plus direct.

Enfin sortie de l’enfer des bouchons de l’agglomération tentaculaire de Los Angeles à l’heure de pointe d’ouverture des bureaux, et émergeant de la pollution de sa grande banlieue, l’autoroute ne coupe plus qu’à travers la campagne… C’est tout droit, tout plat, et il n’y a vraiment pas grand chose autour. Même sur plus de 500 km, les paysages ne changent guère, c’est plutôt monotone. Alors quand en plus la vitesse est limitée à 65 miles/h, soit à peine plus de 100 km/h, ça peut paraître long, très long…Mais malgré tout il se passe quelque chose de curieux, sur ces grandes autoroutes ; on oublie vite la conduite énergique et agressive à l’européenne : ici, ça ne rîme a rien. Toutes les files roulent à la même vitesse de toute façon, il suffit de se laisser porter par le flux continu… Et quelquepart, on sent comme grisé par cette sorte d’ivresse de la freeway américaine ; on avale les kilomètres sans se rendre compte des distances…

La route est droite ? Bah, tant mieux : c’est une automatique, on peut donc la brancher sur le pilote automatique en enclanchant le « cruise control » (le tout, c’est qu’à ne plus avoir à mettre les pieds, on risque d’oublier aussi de mettre les mains, et là, c’est plus dangereux !…). On enfonce le siège en arrière, on choisit un bon CD de Neil Young, et on monte un peu le son : on sombre dans la léthargie de la route, le regard erre, les pensées vagabondent…

Et à vrai dire, ce n’est pas le paysage qui occupe, mais la route elle-même est un spectacle en soi. Etd’abord, on ne peut qu’halluciner devant l’énorme proportion de mini-vans et autres -fausses ou vraies- 4x4 sur les routes. Ici, on les appelle « SUV » Sports Utility Vehicles. Ca a été la grande mode, tous les ricains (et les ricaines surtout) en voulaient un, très gros, très large, très haut sur roues, même si après tout la plus grande aventure dans laquelle ils s’illustrent chaque semaine est le chargement de sacs de courses sur le parking de Safeway… Mais ces monstres consomment 15 à 20 litres aux 100km minimum, et pendant les manifs anti-guerre, les propriétaires de SUV se sont fait copieusement insulter sous l’argument qu’ils sont la cause de la dépendence énergétique des Etats-Unis envers les états du golfe… et donc de l’interventionisme américain en Irak sous la pression des lobbys pétroliers… Toujours est-il que même si les ventes ont baissé récemment (et l’augmentation de près de 20% du prix du gallon d’essence sur les dernières semaines ne doit pas y être étrangère), on en voit encore pléthore sur les routes, et quand on est dans une berline de base, c’est assez frustrant d’avoir l’horizon systématiquement bouché par une porte arrière avec une grosse roue de secours…

Autres classiques des freeways : les trucks, ces énormes camions, si caractéristiques aux Etats-Unis, rutilants, avec leurs deux antennes chromées de chaque côté en guise de pot d’échappement. Les plus beaux sont peut-être les camions-citernes, avec la citerne en métal argenté super briqué, comme un miroir, on se voit réfléchi dessus, avec la route et le paysage ! Magnifique ! Si si, il existe réellement une esthétique du truck, comme il en est une des voitures (ou du moins comme il en était une dans les années 60; ça s’est gâté depuis !)…

Beaucoup aussi de  «RV». Je n’ai jamais su ce que ces initiales voulaient dire, mais ce sont en fait des camion à caravane intégrée, immenses, de la taille d’un bus voire même plus : on dirait presque un conteneur de 40 pieds ! Et toujours la voiture, en général une grosse 4x4, accrochée à l’arrière du mobile-home (plus pratique pour se garer sur le parking du Safeway). Et voilà, il y a plein d’américains, qui se déplacent comme ça en vacances, ou pour de grands trajets prolongés. Il y en a qui passent des mois sur les routes, à travers tout le continent, en trimbalant leur maison, leur congélo avec distributeur de glaçons, et Fox News ou CNN à la télé. On avait ainsi rencontré un vieux couple dans le Bagdad Café : quand on leur a demandé d’où ils venaient, la femme a déclaré : «we live on the road »… En fait, ils revenaient de quelques mois au Mexique, et ont dit toujours s’arranger pour repasser par ici au cours de leurs périples.  Et comme c’est souvent la galère pour trouver un cyber-café pour rester quand même un peu en contact avec les enfants, ils étaient justement en train d’installer une liaison par satellite pour avoir accès internet permanent, d’où qu’ils soient…Comment voyager sans quitter sa maison, son lit, son confort, ses habitudes et surtout ne pas chercher à connaître ni s’intégrer dans la culture locale… Economique peut-être -et encore- mais c’est une notion du voyage que j’ai du mal à partager…

agrandirLes plaques d’immatriculation. On découvre profusion d’Etats où l’on ne mettra jamais les pieds : Wyoming, Alabama, Missouri, Indiana, Tennessee… Déjà en France, petite, quand on descendait dans le sud, on regardait avec ma sœur les numéros sur les plaques des voitures croisées sur la route, et on savait quasiment par cœur tous les départements avec la préfecture. Certes, il y a moins d’Etats aux Etats-Unis que de départements en France, mais les plaques sont nettement plus variées, colorées et autrement intéressantes, avec les logos officiels des Etats... La Californie est le « Golden State » bien sûr mais on apprend ainsi que l’Idaho est le « potato state », le Missouri est le « show me state » -show me shat ?-, le Massachussets se pose en tant que « Spirit of America » rien que ça, qu’il y a du lait dans le Wisconsin, des jardins au New Jersey, des oranges et du soleil en Floride, et enfin le New Hampshire proclame « live free or die » ! Et surtout, il existe des modèles personnalisés. Ainsi en Californie, pour une modeste contribution annuelle de $40 pour son ego, on peut choisir sa propre immatriculation (j’avais à l’époque choisi « MASILIA » et avais ensuite pensé à REV CAL mais j’ai vu aussi bien du U2 FAN que celle de mon pote Reza : CDG 2 SFO, pas mal trouvé pour un français exilé). Mais aussi, pour encore $50 par an, on peut faire une bonne action en choisissant également la déco de fond de la plaque elle-même parmi une douzaine de choix proposés. J’avais choisi la plaque spéciale du California Tahoe conservancy qui reverse les fonds à des projets de protection de l’envionnement sur le lac Tahoe, mais je l’avais surtout choisie bien sûr pour le paysage avec le lac, les pins et les montagnes en fond… Il faut noter que suite au 11 septembre, un nouveau modèle de plaque a été ajouté : la « memorial plate » avec en fond un drapeau américain derrière les nuages -à moins que ce ne soit de la fumée ?- et le texte : « we will never forget » et si si, je l’ai vue assez souvent ! Les fonds pour la « memorial plate » vont à un fonds de lutte contre le terrorisme et à une donation de bourses pour les enfants dont un parent a été tué dans l’attentat. Le Massachussets par exemple a la même mais avec le texte « united we stand »... Certains Etats en ont des magnifiques, la plaque commémorative du centenaire de l’Utah par exemple est véritables collector, avec une arche de canyon. D’ailleurs j’en ai moi-même toute une collection dans mes cartons en France, et je dois bien avoir la moitié des Etats… Ben oui quoi, les plaques d’immatriculations personnalisées, ça fait partie du rêve américain ! Je finirai bien par tapisser mon futur bar en style saloon-Hard Rock Café, et culte des fifties sixties, avec aussi un juke-box Wurlitzer, des plaques de la route 66 et des vieilles pubs de Chevrolet, et tiens, pourquoi pas, une vieille pompe à essence en déco… On peut rêver !

D’ailleurs à ce propos, il est un détail qui ne cesse de m’intriguer : aux étapes, tout comme les fast-foods, les stations-essence sont souvent regroupées par 3 ou 4 de marques concurrentes ; or les prix affichés varient considérablement d’une marque à l’autre, Chevron par exemple est quasiment toujours à 20 cents de plus par gallon que la station Arco juste en face… Alors comment se fait-il que Chevron arrive encore à avoir des clients ? Les prix évoluent quasiment tous les jours, c’est dingue. En plus, la Californie est de loin l’Etat où l’essence est la plus taxée et donc la plus chère, je n’ai jamais compris pourquoi. On est aujourd’hui à $2,29 le gallon (ce qui est encore moitié moins qu’en France), mais je me souviens qu’au Texas il y a quelques années, l’essence était à $0,99 : moins d’un dollar le gallon, c’est-à-dire moins cher que l’eau minérale ! C’est pas encore demain la veille que la dépendance énergétique des Etats-Unis va diminuer…

Traversée de la San Joaquin valley, verger et potager de l’Amérique… Et effectivement, nous longeons des alignements d’arbres fruitiers de toutes tranches dâge : cerisiers (pour la cerise confite dans le martini cocktail), abricotiers, pêchers (pour mettre au fond des yaourts), orangers et citronniers (« citrus is good for you !»), ainsi que des champs de fraises (qui seront cueillies par les mexicains, pour faire les « frozen strawberry margherita » !), et de nombreuses terres et champs à la culture non déterminée, aspergés par de savants systèmes d’arrosage automatique. Un immense canal longe l’autoroute presque tout du long pour irriguer ces vastes zones agricoles. Très impressionnant ! La Californie est le plus peuplé des 50 états américains (35 millions sur 285) et le 3ème plus grand en surface (après l’Alaska et le Texas), mais c’est aussi un des Etats les plus fertiles et avec le meilleur climat, et depuis plus de 50 ans la Californie est de loin le premier état pour la production et l’exportation agricole. Forcément, on ne s’en rend pas du tout compte dans les villes comme San Francisco et Los Angeles, mais dès qu’on sort des agglomérations pour traverser l’état par la brousse, on se rend compte que les surfaces cultivées (l’espace libre entre les montagnes et les déserts) sont immenses. D’ailleurs, c’est idem pour l’élevage. Il y a en particulier un énorme ranch que l’on ne peut pas louper, juste à côté de l’autoroute, car on l’identifie des kilomètres à la ronde avant même de le voir, grâce à l’odeur pestilentielle qu’il dégage : des dizaines de milliers de bœufs noirs y sont parqués, entassés les uns contre les autres comme des sardines, avec strictement aucun espace individuel ! Ceux-là ne mâchent certainement pas l’herbe verte des prairies…Ca doit être un fournisseur pour MacDo ! Enfin clairement, la Californie nourrit le reste de l’Amérique, lui produit son lait et son vin, et ses fruits secs à ajouter dans les céréales…et pourrait certainement très bien survivre en tant qu’Etat indépendant, après tout, comme le proclame encore aujourd’hui son drapeau officiel « California Republic »…Yiiiha ! D’aucuns prétendent même que si la Californie était indépendante, elle serait la 5ème puissance économique du monde –après la France, donc. Wow !


Enfin, retour dans la baie de San Francisco en traversant les vertes collines, les champs d’éoliennes, via le Bay bridge et l’île au trésor (la vraie !), et arrivée enfin sur ma chère City by the Bay. Ah, que c’est beau, la Californie ! Ces routes, je les ai déjà prises en long, en large en travers, mais on ne s’en lasse pas… Peu importe les milliers de kilomètres (de miles pardon !) que l’on avale ; quel bonheur de conduire !

Adoptez une route !

Tout du long des grandes routes, on passe sans arrêt des pancartes « Adopt a Highway » avec en-dessous « this portion has been adopted by… » et en général le nom d’une communauté religieuse locale ou un restaurant, ou un site web. Au début, ça surprend… Kezako ? Aussi étrange que cela sonne, c’est pourtant bien un programme officiel national, un peu sur le principe de « Parrainez un enfant » sur les vieilles pubs UNICEF… Les chauffeurs américains sont en effet terriblement mal élevés et ont une fâcheuse tendance à tout jeter par la fenêtre, sans aucun respect des autres ni souci de protection de l’environnement (guère mieux que les comoriens !): cigarettes, cannettes, emballages de hamburgers et autres résidus de la société de consommation, tout y passe. Il y a de plus en plus de saloperies sur les bords de routes (sans compter les pneus crevés et tout ce qui tombe des pick-ups car mal attaché !), malheureusement les Etats sont absolument sans le sou et ne peuvent plus assurer le coût exorbitant du nettoyage et de la maintenance des routes. Comment payer cette énorme facture?

Alors voilà, c’est le Texas qui a inventé le concept en premier: eh bien puisqu’on ne peut pas payer, on va faire appel à d’autres. On propose donc à des individus, des associations, groupes ou communautés se porter volontaire pour adopter une portion de route (en général 2 miles, pour 2 ans) et s’occuper régulièrement de son entretien : enlever les détritus, nettoyer les grafitis, arracher les mauvaises herbes, planter des arbres ou des fleurs, etc. L’Etat fournit les permis et l’équipement : sacs plastiques, gants,  équipement et même formation de sécurité.  Et en échange de leur contribution, une pancarte est placée sur la portion de route en question en reconnaissance du service rendu. Et ça a très bien marché ! Voilà l’occase pour beaucoup de faire une bonne action, en se donnant un petit coup de pub (ou un boost à l’ego).

Mais il restait quand même trois problèmes. D’abord, quand même pas assez de volontaires pour couvrir tout le réseau. Ensuite, le volume de déchets est en augmentation constante. Et enfin, pour les grosses voies et autoroutes, surtout dans les agglomérations, le trafic rendait le travail des volontaires beaucoup trop dangereux ; il y a eu pas mal d’accidents. La Californie a repris le programme à son compte il y à peine plus de 10 ans, en ouvrant aussi la possibilité d’adoption aux entreprises, et en autorisant la sous-traitance par des compagnies de nettoyage privées, spécialisées. Coup de génie !

L’argument est donc : faites-vous de la pub, en vous donnant bonne conscience et bonne image, mais sans aller vous-mêmes ramasser les detritus sur l’autoroute… Il y a donc plusieurs boîtes maintenant qui proposent ce service, qui vont même vous faire votre pancarte en utilisant votre logo ets’assurant qu’ils respectent les conditions imposées par l’Etat, et vont envoyer régulièrement leurs équipes de pros nettoyer votre portion adoptée. Ca va vous coûter quand même de $300 à $600 par mois le mile, mais bah, pour une entreprise (ou pour une personne célèbre… Il paraît que Robin Williams a adopté une portion !), qu’est-ce que c’est, par rapport aux milliers de personnes qui vont voir votre pub ? Même si la page officielle du programme précise « The Adopt-A-Highway Program is not a forum for advertising or public discourse », mine de rien, c’est bien ça qui fait son succès ! Et les Etats, qui sont tous totalement endettés, économisent ainsi plusieurs millions de dollars (et ça de plus qui va pouvoir aller à la contribution à l’effort de guerre…).

Une variante a été créée spécialement pour la route 66 : Adopt-A-Hundred, qui permet d’adopter seulement 100 miles sur les 2400. C’est gratuit, il suffit d’être membre de l’assoce, et pas besoin de ramasser les déchets, mais il faut rouler sur sa portion au moins une fois par an pour informer des dégradations possibles et aussi tous les deux ans faire une revue des hotels et restaus pour leur guide de l’assoce… Inutile de dire que toutes les sections sont déjà prises, et il y a une grosse liste d’attente…

En Californie du Sud aussi, ils ont créé un autre avatar : « adopt a beach » , qui propose de mettre de grandes poubelles à votre nom sur les plages. Ca peut être de plus courte durée, mais c’est nettement plus cher ! En fait , c’est pas mal utilisé pour des de sorties de film à grosse production, ou une nouvelle voiture, etc, ça fait partie du budget de campagne de lancement qui vise les jeunes en train de lézarder sur la plage, en fait, et ce n’est pas spécialement du tout par passion subite pour la protection de l’environnement…Enfin, il faut prendre les sous où ils sont, finalement, si ça permet d’avoir de belles plages et des routes entretenues…

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Cinq portions de routes, cinq tranches de vie, parmi tant d’autres, qui traversent des paysages aux contrastes vertigineux mais fascinants. Mais il y en plein d’autres ; la Californie ne manque pas de paysages hors du commun ni de routes légendaires… La highway 49 dans la Sierra Nevada, tiens, par exemple, celle des chercheurs d’or, dits les « forty-niners » (le numéro a manifestement été choisi !). Apres la cote, les villes et les déserts, il faudra un jour faire les lacs et les montagnes, les contreforts ouest des Rocheuses, en hommage aux origines « historiques » de la Californie…


Virginie Drocourt
sheherazad13@yahoo.com