« There
is a certain romance about American culture and our love for the open
road. Many icons and legends have been made throughout the history of
the automobile and the highways they traverse. Famous roads such as U.S.
66 and the National Road hold many stories and tales, but what about the
highways themselves? ».
www.aaroadtrips.com
« Faites dix mille miles à travers l’Amérique, et vous en saurez
plus long sur ce pays que tous les instituts de sociologie ou de science
politique réunis ». Jean Baudrillard, Amérique, 1986.
Chiche? Départ de San Francisco,
Ocean beach, pour près de 3000 miles « sur la route »…
California
1 : Pacific Coast Highway
La Pacific Coast Highway est un petit
bijou, une superbe route sinueuse à deux voies seulement qui longe toute
la côte Ouest, du Canada au Mexique : parfois le long des plages
ou entre les dunes, tantôt au pied des falaises, tantôt en surplomb ou
dangereusement suspendue à mi-pente (et attention : aucune barrière pour
empêcher de basculer dans le vide!). Sur la portion Californienne, elle
s’appelle highway one, et elle est certainement une des plus belles routes
américaines (et ce bien avant que Sharon Stone l’immortalise dans la course-poursuite
de Basic Instinct…). Par la « one », il faut
des milliers de virages et plus de 10 heures de temps pour faire San Francisco-Los
Angeles, alors qu’il en faut compter moitié moins en prenant l’interstate
5 qui coupe par l’intérieur… Mais longer les rivages de l’Océan Pacifique
tout du long : quel spectacle !
J’ai toujours rêvé de faire cette route
en petite cabriolet, cheveu au vent, en écoutant les Beach Boys… Mais
même quand j’avais ma spitfire rouge adorée (« Barbara Ann »,
si si…), je n’ai jamais osé risquer de l’amener sur une telle longueur ;
pas bien sûre qu’elle aurait tenu le coup jusqu’à la cité des anges !
(soupir…). Eh non, hélas, la grande époque des golden dot-com years est
révolue, et c’est donc en Dodge Neon, la « compact » de location
de base chez Dollar-Rent-a-car, que j’ai repris le volant (mais lecteur
CD et air conditionné en série…)
Pacifica, Half Moon Bay, Santa Cruz,
autant de noms synonymes de paradis des surfers. A y regarder de près,
on distingue en effet sur l’eau des dizaines de pingouins épars : autant
de surfers emmaillottés dans leur combi intégrale noire ultra-moulante
de 7mm d’épaisseur (l’eau est à 10 degrés celsius !), qui flottent
assis entre deux eaux ou pédalent avec les bras pour remonter les vagues,
à plat ventre sur leur planche. Ca me rappelle immanquablement ces petits
poissons et grenouilles quand j’étais gamine, qu’il fallait remonter pour
les faire nager tout seuls dans la baignoire… Je ne comprendrai jamais
le degré de masochisme qu’il faut aux surfers pour vouloir ainsi lutter
et se les geler dans une eau glaciale pendant des heures entières d’ingratitude,
tout ça pour à peine quelques minutes (voire secondes) de glisse… mouaich….
Monterey, « charmant
port de pêche » est-il écrit sur la brochure (Ah bon ? Elle
date du siècle dernier, sans doute ?). Ses anciennes conserveries
de sardines vantées par Steinbeck, ses restaus à poisson grillé, et son
grand aquarium d’eau de mer. A retenir : les requins tachetés
comme des léopards, un phoque qui se taille allègrement une pipe tout
en faisant des galipettes dans l’eau (public mâle abondant et admiratif !),
et une collection inégalée de méduses de tous acabits dansant silencieusement
sur leur mystérieuse chorégraphie de natation synchronisée, sous des éclairages
psychédéliques : somptueux !
Big
Sur.
C’est le titre d’un roman de Jack Kerouac (le
même gars qui a écrit le mythique « On the road », d’ailleurs),
et que je n’ai jamais réussi à terminer, mais c’est surtout un site extraordinaire.
Les collines. Des falaises qui tombent dans l’océan. Les rangées successives
de vagues qui viennent se dérouler et se casser sur les rivages. Beauté
naturelle, brute, sauvage, grandiose, un paysage à couper le souffle !
On a envie de s’arrêter à tous les virages pour prendre des photos…
San Simeon. Côté collines, pas le temps
cette fois-ci de visiter le Xanadu de Citizen Kane (Hearst castle), mais
il faudra y revenir ; un tel délire de milliardaire mégalomane et
frustré de la vieille Europe n’a pas son pareil au monde ! Côté rivage,
grosse peuplade d’attendrissants petits phoques (dits lions de mer), mais
aussi d’éléphants de mer, une variante, énorme (au moins quatre à cinq
fois plus gros), immonde, avec ce monstrueux grouin qui retombe telle
une trompe rabougrie : beark, vraiment, vraiment moche ! Ils
lézardent tous sur le sable, étalés les uns contre les autres, au grand
plaisir des homo sapiens qui se bousculent pour regarder ces jouisseurs…
SoCal :
Highway One devient PCH
On arrive en Californie
du sud (dite SoCal comme Southern California) : un autre monde, assurément.
La Highway One est ici surnommée plutôt « PCH » pour les intimes
(Pacific Coast Highway). Pas mal de Harley Davidson bien lustrées, montées
par des blousons de cuir avec drapeau (mais personne n’égalera jamais
Peter Fonda dans Easy Rider)… Ca doit être mythique, de descendre cette
route en Harley (quand on aime la moto !…). Le soleil descend et
s’enfonce progressivement, plein Est, sous la ligne d’horizon de l’Océan,
vers le pays du soleil levant. C’est fou, de toutes les fois où j’aurai
pris cette route, j’ai toujours tellement traîné au début que finalement,
je n’aurai toujours jamais vu San Luis Obispo,
Ventura, ni Malibu de jour…
Verre obligé dans un bar branché
à Santa Barbara, qui n’est
pas seulement un pitoyable soap opera, mais surtout un gros campus. Foule
estudiantine jeune, très jeune, qui doit à peine avoir l’âge légal de
boire une Corona ! On prend
presque un coup de vieux…
Beverly Hills, banlieue résidentielle
de luxe totalement aseptisée. De chaque côté des grandes allées de palmiers
(d’immenses bâtons tout fins surmontés d’une minuscule petite touffe,
tout en haut : ma mère les a baptises les rince-biberons…) :
ces énormes maisons de millionnaires, retranchées derrière leurs barrières
automatiques et leurs systèmes de sécurité, avec devant chaque entrée
un petit panneau de mise en garde « Security alarm, armed response !
». Gare au gorille !
Los Angeles. Vue panoramique depuis les hauts de Mulholland
drive sur les gratte-ciel de « downtown L.A. ». Le point de
vue qui domine toute la ville doit être en fait ce fameux panorama hyper
connu de nuit, sur les lumières de la ville, qui s’étend et scintille
à perte de vue, avec au premier plan ces deux coulées de lave luminescentes,
ces longs serpents jumeaux, l’un de lumière rouge et l’autre blanc, qui
se glissent et se lovent lascivement l’un contre l’autre. Mais de jour,
bof, pas terrible, la magie des lumières disparaît pour laisser place
à l’orgie urbaine de béton : difficile de faire abstraction de ces
bruyantes autoroutes au premier plan. Et surtout, on distingue à peine
les immeubles de downtown au loin, qui apparaissent flous sous la chape
de pollution : tout baigne dans cet épais bol de brume gris-jaunâtre
qui enveloppe toute la ville. Et puis il faut reconnaître que la
silhouette de Los Angeles est tellement quelconque, dérisoire, insignifiante,
par rapport à la skyline de tant d’autres villes américaines, aux immeubles
à l’architecture unique, qui les rend identifiables au premier coup d’oeil.
Santa Monica, Venice beach : la voilà, l’image
de la Californie telle qu’on se l’imagine dans le reste du monde, celle
de « Alerte à Malibu »… L’immense bande de sable, les allées
de palmiers, les rouleaux de vagues, les surfeurs bronzés, les filles
siliconées… Mais justement cette fois-ci, pas vu trop de pépés à poitrine
gonflée sur rollers avec short en jean qui rentre dans la raie des fesses,
ni de gros black avec chaîne en or qui brille et faisant des figures de
skate sur fond de hip hop. En effet, il fait très beau, mais c’est encore
l’hiver, on doit être hors-saison... Ou alors peut-être n’est-ce que le
dimanche ? En tout cas, le long de la promenade de plage de Venice,
on trouve plutôt les stands à tatouage, les diseuses de bonaventure sur
cartes de tarot, et les bâtons d’encens. Bah, on reviendra en plein été
louer des rollers pour profiter du spectacle en longeant la plage…
PCH
continue vers le sud le long des beach-towns qui bordent la côte jusqu'à
Tijuana (encore doit-elle avoir son équivalent au-delà de la frontière
mexicaine, qui continue sur la peninsule de Baja California). Un des bonheurs à sillonner les routes de Californie
du sud, c’est de croiser ou dépasser de nombreuses vieilles autos classiques
et charmantes petites décapotables, comme on n’en voit plus guère ailleurs,
vestiges d’une grande époque révolue. La Californie est un climat chaud
et sec, propre à la bonne conservation des véhicules, et surtout à la
concrêtisation des rcves de gamin… Les vieilles Cadillacs et Mustangs,
la somptueuse Chevy Belair 1957, mon idole la Corvette 1960, et autre
Falcon, Thunderbird, ou encore la rare petite Austin Healey. Et aussi
ces grands paquebots des années 70 comme l’immense Impala, totalement
impossible à garer en ville... Ce sont souvent les mexicains qui les adorent,
les lustrent et les bichonnent, et les accessoirisent avec des signes
de métal doré, et des amortisseurs hyper mous qui les font rebondir mollement
au ras du sol aux feux rouges…
Toutes les beach towns ont
leur «pier», un grand ponton de bois qui s’enfonce dans l’océan, pour
les pêcheurs, pour la promenade, pour admirer le coucher de soleil et
mater les surfers de plus près, pour couper l’horizon trop linéaire de
l’Ocean infini… Il faut absolument goûter le délicieux « fish tacos »
(adaptation luxe du sandwich de base mexicain, l’équivalent local de notre
jambon-beurre) chez Duke’s, à Huntington Beach, temple de la surf culture,
sous de vieux long board en bois accrochés au plafond et aux murs, avec
photos noir et blanc des ancêtres et précuseurs dans les années 50. Grand
sourire aux dents blanches : ils sont ici élevés au statut de héros
par toute une génération de beach boys…
Newport Beach, île de Balboa : en déambulant
dans les petites allées fleuries, on se prend à rêver, s’imaginer avoir
là sa retraite d’artiste, petite maison en bois peint avec terrasse côté
soleil et petit ponton privé en bois juste devant, pour accrocher son
voilier et ses kayaks de mer… Mais à 2 millions de dollars au bas mot
la moindre -vraiment petite- maison, on remet vite les pieds sur Terre…
San Diego. Capitale de la US Navy. Donc forcément ultra-républicaine,
pro-Bush, pro-war. En sortant de San Francisco l’enfant terrible activiste
pacifiste, ça fait forcément tout drôle ! San Diego est au contraire
à la tête du mouvement « support the troops » (il faut dire
que plus de 20% des troupes yankees actuellement en Irak viennent de San
Diego) . Alors quand on allume la radio, on tombe forcément sur des
interviews de fiancées de marines qui sont au front : elles militent
pour l’honneur de leur homme et de la patrie. Il y a des drapeaux partout,
sur les fenêtres, sur le gazon ($1.99 la pancarte grand format prête-à-planter),
des affiches patriotes collées à l’entrée de tous les magasins sans exception,
des autocollants sur les vitres arrières, et même des petits drapeaux
à accrocher sur le haut des portières
de la voiture pour flotter au vent (certains poussent le zèle jusqu’à
mettre 4 drapeaux, un sur chaque portière !).
Mais San Diego est aussi LA
grande ville des surfers. A se demander comment beach bums et navy boys
cohabitent. Plutôt bien, en fait, semble-t-il assez curieusement. Sur les superbes
plages branchées et ultra-bondées de Pacific Beach (PB en jargon local)
et Mission Beach, on reconnaît à peine les multiples groupes de petits
jeunes qui couvrent littéralement la surface de cette plage pourtant immense.
Finalement, outre le fait d’avoir tout juste passé 21 ans, ils ont pas
mal de valeurs communes : les muscles saillants, les gros et multiples
tatouages, la plage, les filles en bikini, la bière, le sens grégaire
qui les pousse à ne se déplacer et s’exhiber qu’en tribu…
· D’un côté donc, les surfers : caleçon de bain taille basse, long sous le genou,
à motif hawaïen à grosses fleurs, avec des packs de Bud Light (Tiens?
Pourquoi «light»? Mais j’en ai même vu carrément amener sur la plage un
keg entier, conservé au frais dans une énorme poubelle-bac à glaçons!
On aura tout vu !), et qui jouent à l’indémodable classique du far
west : le « fer à cheval » (hautement sportif et culturel, comme
activité !).
· De l’autre côté, les marines avec leur crâne rasé aux normes, qui viennent eux aussi
se pavaner en public : torse nu bien musclé et fort tatoué, avec
non pas un pendentif en bois ou colllier de corail mais la faleuse double
plaque de metal qui identifie tout militaire. La principale différence
est qu’ils gardent le blue jean (taille basse idem) et restent debout,
avec lunettes de soleil (Oakley, les mêmes) et surtout parlent bien fort
dans leur téléphone mobile pour se faire remarquer… surtout en ce samedi,
deux jours après le début de la guerre, les voilà les jeunes G.I.s, les
nouveaux héros de l’Amérique, qui viennent tester leur popularité…
Voilà matière à méditer, au
soir tombant, sur l’île de Coronado... Il est temps de s’accorder un pur
moment de bonheur grand luxe : un Mai-Tai, délicieux cocktail hawaïen,
sur la terrasse du célébrissime hotel del Coronado, mythique s’il en fut,
auquel Marilyn a définitivement associé sa pulpeuse image… Enfin dommage
tout de même que ce paisible coucher de soleil soit gâche par le bruit
des F16 qui décollent et des gros hélicos Chinook à double hélice qui
reviennent bruyament au bercail, dans la base toute voisine…
Bon,
on a oublie les passeports, alors vu les contrôles renforcés aux frontières
depuis qu’on est entrés en guerre et repassés en alerte orange, ce n’est
même pas la peine d’essayer de passer la frontière mexicaine pour aller
à Tijuana…On va plutôt rentrer dans l’intérieur des terres, y chercher
l’âme de l’Amérique profonde…
Historic
Route 66, “the Main Street of America”
« Historic »
car officiellement, elle n’existe plus ; elle est donc passée dans
l’histoire. Devenue désuète et insuffisante, trop petite, trop sinueuse,
trop lente, trop dangereuse, elle a ete déclassée, remplacee par le tout
nouveau reseau national transcontinental d’autoroutes « interstates »
a 4 ou 6 voies, et elle ne figure plus aujourd’hui sur aucune carte routière.
Sauf la carte spéciale « route 66 » vendue aux rares motards
et touristes français aficionados…Car si cette route est légendaire pour
nous autres européens, et nous évoque à elle seule le symbole des grands
espaces et de la liberté américaine, pour les américains eux-mêmes en
revanche, elle est totalement tombée aux oubliettes et ils ne comprennent
pas d’où nous vient cette passion ? A part les vieux routards fétichistes
en Harley Davidson, qui se soucie de cette vieille deux voies qui tortille,
alors qu’il y a une superbe large autoroute toute droite juste à côté
qui permet de faire le trajet en nettement moins de temps ? « Ils
sont fous, ces romains »…
Mais sacrilège : nous
la prenons à l’envers ! On part en effet de Santa Monica vers l’Est,
alors que bien sur le trajet mythique est dans le sens inverse: près de
4000 km de Chicago, vers le soleil -et les promesses !- de la Californie !
Enfin de toute façon, on ne l’empruntera évidemment que sur une partie,
la portion californienne (l’arrivée, donc, normalement), en remontant
jusqu’à la frontière d’Arizona.
« Emprunter la 66 originale
dans son intégralité est la meilleure façon de connaître le vrai visage
de l'Amérique et de satisfaire tous les nostalgiques des années 40-50 »
ai-je trouvé sur un site français qui propose de faire la totale en moto
en 10 jours… Inaugurée juste avant la grande crise de 29, les ruinés l’ont
empruntée pour tenter une nouvelle vie en Californie (« road to opportunity »),
tandis que les programmes du New Deal finançaient la maintenance de la
route, puis pendant la guerre les militaires l’ont largement utilisée,
et enfin le boom d’après-guerre, la prospérité des années 50 et le développement
des automobiles ont entraîné une explosion du tourisme, et donc du trafic.
Les opportunistes ont ouvert des business tout du long de la route pour
servir tous ces voyageurs : étapes-stations avec de l’essence et
assurant le service et la maintenance des véhicules, snacks, diner’s et
drive-ins pour se sustenter, terrains de camping, et un nouveau mode de
logement pratique et pas cher inventé tout exprès pour les automobilistes :
le motel ! Finalement, l’Amérique moderne s’est aussi inventée le
long de cette route… C’était l’age d’or !
D’ailleurs, flûte, on a raté
le premier MacDonald à San Bernardino, on a du passer devant sans même
le remarquer : à l’origine juste un petit restau-étape pas cher pour
casser la croûte vite fait, en fait véritable lieu de naissance de la
« Fast Food Nation », et donc par extension symbole de l’économie
et la culture américaine : ingrédients simples, produits uniformes,
menus standards, service limité au strict nécessaire mais rapide et efficace,
consommation à la chaine, packaging prêt à emporter, marketing global,
marque mondialement identifiable et reconnue, toutes les clefs de l’impérialisme
américain… Quel parcours hallucinant ! Dire que tout est parti d’un
misérable petit snack sur le bord de la route 66… En revanche, impossible
de rater le Wigwam motel, le comble du kitsch, avec ses tipis en plastique
aux couleurs pastel, et son impayable logo : « do it in a tepee !».
Dire qu’à la grande époque des transhumances des fifties / sixties, c’était
le top du chic; on a du mal à y croire!
Des deux côtés de la route,
pas mal de bâtiments à l’architecture typique et facilement reconnaissable
des fifties et sixties qui ont du connaître des jours meilleurs, mais
sont aujourd’hui plus ou moins entretenus -voire carrément abandonnés
pour certains- depuis que le trafic s’est dévié sur les freeways… Mais
tout cela évoque encore le rêve
américain des années 40, 50 et 60, gardent malgre tout le souvenir
de cette époque insouciante : de vieilles enseignes kitsch colorées,
immenses et flashy, des motels à la peinture décrépite, des diner’s aux
carreaux noir et blanc, encore quelques néons qui ont survécu, des stations
service abandonnées avec encore ces superbes pompes à essence à l’ancienne
peintes en jaune ou rouge… De temps en temps, un petit musée miniature,
ouvert et tenu par quelques fans invétérés, avec memorabilia et americana,
et de vieilles cartes, bouquins, néons, pompes, pub, pancartes, photos,
qui attestent de la gloire et la grandeur passée de la route 66. Le temps
s’est comme arrêté…

Passée l’interminable grande
banlieue de Los Angeles, la route devient peu à peu déserte, de moins
en moins entretenue, et on ne croise quasiment plus une voiture. Comme
officiellement elle n’existe plus, même avec la carte spéciale route 66,
il n’est pas toujours facile de la suivre car la carte n’est pas assez
détaillée, la route a souvent changé de nom (une portion ici s’appelle
« National Old
Trails Highway »), on peut facilement rater
des virages, certaines petites portions ont été condamnées, abandonnées
et/ou remplacées, et la nouvelle direction n’est pas toujours indiquée…
Bref, on s’est perdus plus d’une fois à certaines
étapes, à tourner en rond sans trouver où la reprendre…
« A desert road from Vegas to nowhere… ».
Bagdad
café. Si si, l’endroit existe vraiment ! Et tout est exactement
comme dans le film : le bistro, les chambres du motel, quelques « trailers»
en métal aux vitres cassées, le zinc, le vieux piano... Pareil, sauf le
grand réservoir à eau, qui a hélas été arraché par un vent violent il
y a quelques années. Dommage, ça donnait du cachet. Et je l’ai cherché,
mais n’ai pas trouvé non plus le thermos avec le logo de la ville de Rosenheim,
déception ! Mais plein de photos du film dans la salle du fond. On
s’y est arrêté pour déjeuner, c’était obligé : hamburger frites avec
ketchup, forcément. La tenancière n’est pas Brenda-la-noire ni Jasmine-l’allemande
(les noms de mes deux premières voitures !), mais est un sacré bout
de femme à poigne, à crinière blanche et grand humour, qui nous a même
spontanément autographé sa carte ! Quelle
dérision quand même, en ces temps troubles de guerre avec l’Irak, de se
retrouver ici… à Bagdad ! Qu’est-ce qui a bien pu pousser sans doute
un irakien en exil à nommer ainsi ce coin perdu de bout du monde, d’après
l’ancienne et lointaine capitale arabe de plusieurs millions d’habitants ?
La chaleur du désert, sans doute…
Roy’s, étape improbable à
Amboy, en plein désert, juste après un
passage à niveau. Oui, là, ici, au milieu de nulle part. Un motel aux
volets fermés, une station essence désaffectée, un réservoir renversé,
et même une petite église en bois en ruine (gueuh ?), le tout abandonné.
Et surtout un « ice cream parlor », qui paraît-il sert les meilleurs
milk-shakes, fermé aussi à mon grand désespoir. Mais Roy’s a vraiment
des allures d’étape fantôme, arrêt obligé de tous les touristes pour photos !
Avec encore cette immense pancarte visible à des miles, une voiture de
police type paquebot du début des années 70, et un vieux bus qui doit
dater des années 50, vert amande décoloré, ouvert à tout vent, avec même
la déco kitsch à l’intérieur : on dirait que tout a été placé là,
volontairement, comme un décor, pour tourner un film ou faire des photos…
Le désert
du Mojave. Mythique. Juste quelques cactus et « joshua trees »
isoles dans la rocaille, et une ligne de montagnes roses au loin. On suit
la double ligne jaune qui fuit vers l’horizon, parfois toute droite, parfois
en ondulant. Territoire immense, nature sauvage pour ainsi dire jamais
apprivoisée. Sentiment d’espace infini -et donc, de liberté- sans aucune
mesure avec ce que l’on peut connaître dans la vieille Europe étriquée.
On a tout le temps du monde… Un train interminable, d’au moins 50 wagons
est arrêté au loin, en pleine brousse. On s’attend presque à voir surgir
une escouades d’indiens avec plumes et chevaux. Mais rien. Le silence.
La route est jalonnée de pneus éclatés sur le bord de la route. On croise
une voiture, peut-être deux, on se fait des signes : « tiens,
un autre fana ! ». Les lunettes de soleil, Elvis en stéréo,
une bouteille d’ice tea dans le slot prévu spécialement à portée de la
main… C’est le bonheur ! Ah oui, un jour, promis, je le ferai, le
« coast to coast », la traversée complète de tout le continent
américain, en un mois ou deux…

California
190, « the lost highway »
Petite incartade
dans le Nevada pour une soirée « plein les yeux » à la folle
Las Vegas. Comment décrire Las Vegas, quand tout semble déjà avoir été
dit ? J’avais détesté la première fois que j’y étais allée en 97 :
j’avais trouvé terriblement déprimants ce mauvais décor de carton-pâte
et ces tristes figures de petits vieux qui passent nuit et jour scotchés
sur les machines à sous, à automatiquement remettre une pièce dans la
fente et appuyer sur le manche, comme des zombies, sans même sembler s’amuser…
Mais retournée 3 ans plus tard, avec tous ces grands hôtels « nouvelle
génération » qui ont poussé comme des champignons, tout semblait
avoir changé et j’avais vraiment adoré. C’est ça aussi, Las
Vegas. Ce côté toc, écoeurant, et pourtant fascinant, et toujours
surprenant…Un parc d’attractions grandeur nature pour « les grands »…
Toujours trop. Orgiaque. Mais génial, malgré tout…
Quelques heures intenses dans
les néons, le grandiose et les lumières phosphorescentes, la bataille
des pirates du Treasure Island, les fabuleuses chorégraphies de fontaines
sur le lac devant le Belagio, les plafonds peints, les canaux et boutiques
du Venetian (on s’y croirait !), les petites ruelles style « Amélie
Poulain » figurant un Paris de fantasme tout beau tout propre tout
mignon, près de la tour Eiffel, qui plonge ses pieds dans le casino du
sublime hotel Paris (le plus beau, sans conteste et en toute objectivité !).
Et surtout, partout, tout le temps, le bruit assourdissant et la fureur
métallique des pièces qui dégringolent dans les machines à sous…
Les lueurs nocturnes de Las
Vegas s’éloignent peu à peu dans le rétroviseur, mais à plus de 60 kilomètres,
on distingue encore la boule de lumière... Combien de kilowatts sont-ils
consommés par heure dans cette ville de l’excès ? Retour enfin dans
l’obscurité et le silence du désert.
Une grosse heure de route, mais on peut difficilement faire contraste
plus violent, entre la civilisation et le néant…
L’Amargosa hotel est une grande
hacienda isolée, dans un village fantôme, une cité perdue, au bord d’une
petite route. Non, ce n’était même pas un village, juste une ancienne
jonction ferroviaire, avec encore quelques bureaux et hangars en ruine,
datant du temps où il y avait beaucoup de frêt pour transporter le minerais,
extrait des mines voisines. L’hacienda logeait les mineurs et les employés.
Aujourd’hui, elle semble abandonnée, mais ne l’est pourtant pas. Une comédienne
new-yorkaise passionnée de danse et tombée amoureuse du désert a repris
et décoré cet hotel comme une ancienne mission, plein de peintures surprenantes,
et il y a même une petite salle d’opéra comique, encore en fonction, mais
si, ici en plein désert, comme au bon vieux temps des saloons, et justement,
pas de bol, on va rater la représentation du lendemain ! Damned !
Si près de Las Vegas, et pourtant tellement isolé… Je suis restée deux
fois, et les deux fois, nous étions les seuls clients, la seule voiture
garée devant l’allée d’arcades. La gérante avait simplement laissée la
porte de notre chambre ouverte, avec le reçu, et les piles de gros draps
en coton, couvertures et autres quilts sur le lit. Un autre petit bout
du monde, à chérir… J’adore cet hotel, vraiment. Un vrai cliché. On se
croirait encore dans un décor de film, c’est magique ! D’ailleurs,
apparemment, David Lynch y a tourné un film qui s’appelle « Lost
Highway Hotel » (je viens de découvrir ça après coup en surfant sur
le net !) : il faudrait vraiment que je le loue pour visionner
ça : Bagdad Café version Noir, ça doit valoir le coup!…

California-190,
la highway perdue, nous mène à l’entrée de la fameuse vallée de la mort. Pas un désert de sable ni de dunes comme on l’imagine,
mais de roche et de cailloux. La lumière y est crue, aveuglante; les photos
sont systématiquement sur-exposées... A perte vue : rien, rien de
civilisé en tout cas. Pas un indice que l’homme ait jamais pu laisser
sa trace ici, sauf des dénominations apocalyptique sur la carte:
la vue de Dante, la crique de la fournaise, mauvaise eau, les puits du
tuyau de poele, le terrain de golf du diable…C’est immense, sec, rude,
inhumain, lunaire. Trop brut pour être beau, mais impressionnant. C’est
Mars, la planète rouge. On voit les sommets de la Sierra Nevada en face,
encore un peu enneigés comme l’indique leur nom, et au loin tout en bas ce
qui ressemble à des flaques de boue séchée et craquelée, et une vaste
surface blanche qui brille comme neige au soleil, mais quand on descend
voir de près, on réalise qu’il s’agit en fait d’une épaisse couche de
gros sel, exudé par la terre (on est à 86 mètres sous le niveau de la
mer)… Sûr que rien ne va jamais pousser ici ! Pas pour rien que la
région est infestée de zones de tirs et d’essais de la Navy…
Partout,
des montagnes arides, qui rappellent
énormément l’Afghanistan, surtout cette région, à l’ouest de Bamyan, surnommée
« la faille du dragon ».… Les terres sont jaune, ocre, rouge,
rose, et même un peu de vert. Car il y a plein de minéraux dans ces entrailles
volcaniques, de gisements métalliques… et donc de mines ! Argent,
silices, quartz, borax, etc. Rhyolite, ville-fantôme
au Nord de la vallée, n’est plus qu’un champ de ruines : elle a en
fait été au début du siècle une « boomtown » qui s’est enflée
tout d’un coup. Il y a eu jusqu'à 10,000 habitants, mais elle n’a même
pas vécu 10 ans et a été totalement abandonnée dès la mine épuisée. Il
y avait des magasins, des hotels, une école, des usines électriques, une
fonderie, une banque, une gare et des entrepôts ferroviaires, même un
petit hôpital tenu par le syndicat des mineurs. Mais il ne reste aujourd’hui
qu’une ou deux carcasses de camionnettes antiques, un wagon, quelques
murs de ciment et rares baraquements d’une pièce de bric et de broc encore
debout, et le reste en bois s’est effondré. Mais par terre, on trouve
encore des restes, du métal rouillé, des ressorts de lit... La nature
a repris ses droits !
Comme la vie semble éphémère
dans ce cadre sauvage, pétri par la géologie, où les entrailles de la
terre semblent exposées au soleil. Ce pays est peut-être jeune, mais sa
terre est millionnaire… Difficile auss de réprimer une pensée pour les
premiers pionniers arrivés avec leurs roulottes qui se sont retrouvés
perdus ici, à chercher un passage vers l’ouest et l’or promis de Californie,
et ces opportunistes itinérants, qui se sont échiné le dos ici à Rhyolite
pour extraire le borax…D’ailleurs, au fait, à quoi ça sert, le borax ?…
El
Camino Real, la première route de Californie…
El Camino Real était la
piste qui reliait les missions franciscaines, à peu près distantes les
unes des autres d’une journée de cheval (en fait, un camino real, il y
en a un aussi de l’autre côté, au Nouveau Mexique…). La première mission
dans ce qui est aujourd’hui la Californie a été fondée à San Diego en
1769. En l’espace de 50 ans, 21 ont été fondées au total par les missionnaires
espagnols, en remontant lentement vers le Nord, jusque Sonoma, dans la
vallée des vignobles au-dessus de San Francisco. Puis en 1821 le Mexique
est devenu indépendant : les missions et leurs vastes terres ont
été expropriées, et enfin près la fin de la guerre américano-mexicaine,
la Californie est devenue en 1850 le 31ème état de l’union (des Etats-Unis
d’Amérique), achevant de condamner les missions à l’abandon et donc à
la ruine. Ce n’est qu’à la toute fin du 19ème siècle que les artistes
ont soudain découvert un attrait romantique aux missions, et qu’elles
ont commencé à être restaurées, en tant que témoins de la pré-histoire
de Californie, celle d’avant la découverte et la ruée vers
l’or.
Encore aujourd’hui, l’ancien chemin royal a perduré et est
devenu souvent un gros boulevard, qui a souvent changé de nom. Mais on
retrouve parfois « El Camino Real » dans son appellation d’origine :
l’avenue traverse par exemple toute la Silicon Valley, qui s’est développée
autour de son axe... Mais là aussi, elle a été doublée d’une autoroute :
la US-101, qui suit presque tout du long l’itinéraire d’origine du camino.
En arrivant en Californie il y a quelques années, j’avais juré que je
mettrais un point d’honneur à visiter chacune des 21 missions. Je m’arrête
à l’occasion quand je passe à côté d’une, mais je n’en ai à ce jour visité
que la moitié environ, et ma foi, elles ont quand même toutes un air de
famille ...
Il faut toutefois passer outre l'immanquable boutique de bondieuseries
à l'entrée, et découvrir la charmante église rustique, toute en longueur,
avec ses poutres et bancs en bois, les cuisines et la cantine, les allées
d'arcades, les tuiles romaines, les cloches, les jardins de plantes aromatiques
: bah, ça ressemble finalement à n'importe quelle église romane de village
comme on en connaît partout en Europe, mais avec un look méditerranéen
qu'il est fort agréable de retrouver ici, si loin de notre culture latine...
Les missions étaient de petites colonies auto-suffisantes, dont
le but principal était de civiliser et évangéliser les indiens, mais aussi
d’occuper le territoire et servir de base à une exploration plus poussée
dans l’interieur. Les frères franciscains avaient peut-être fait voeu
de pauvreté, mais ils avaient le sens des affaires et savaient diriger
leur business! Les missions étaient organisées en communauté, pour faire
travailler les indiens, parfois des milliers, aux champs mais aussi en
ateliers. En fait les missions étaient de vrais centres de production
artisanale et agricole ; certaines carburaient même très bien, de
vraies grosses entreprises !
Ces missions sont à l’origine du peuplement
occidental de la Californie (on a envie de dire la « colonisation » !)
et de son développement ; elles ont en tout cas donné naissance à
la quasi totalité des villes californiennes commençant par « san »
ou « santa », et ça fait un paquet !… Il y en a même une
au nom d’un roi de France:
« San Luis, rey de Francia » (aucune grosse ville n’en
a émergé, cependant…). Yerba Buena (bonne herbe et verte prairie!)
est ainsi devenue San Francisco, diminutif de la mission de « San
Francisco de Asisis ». San Jose, au sud de la Silicon Valley, qui
est en fait largement plus grosse que San Francisco aujourd’hui, s’appelait
à l’origine « el pueblo de San Jose de Guadalupe ». Los Angeles
aussi est issue d’un « pueblo » le long d’El Camino Real, dont
le nom complet était « el pueblo de Nuestra Senora la Reina de Los
Angeles »…Ca sonne tout de suite plus sympathique !
Interstate-5 : Golden State Freeway
Retour vers
le Nord, comme un retour vers le futur : une simple bretelle d’autoroute
nous transporte du 18ème au 21ème siecle (qui a dit que l’Amérique n’avait
pas d’histoire ?). L’interstate
5 est la colonne vertébrale de la côte Ouest. Elle passe beaucoup plus
à l’intérieur que la touristique Pacific highway, pour pouvoir tracer
tout droit, au plus direct.
Enfin sortie de l’enfer des bouchons de l’agglomération tentaculaire de Los Angeles à l’heure de pointe
d’ouverture des bureaux, et émergeant de la pollution de sa grande banlieue,
l’autoroute ne coupe plus qu’à travers la campagne… C’est tout droit,
tout plat, et il n’y a vraiment pas grand chose autour. Même sur plus
de 500 km, les paysages ne changent guère, c’est plutôt monotone. Alors
quand en plus la vitesse est limitée à 65 miles/h, soit à peine plus de
100 km/h, ça peut paraître long, très long…Mais malgré tout il se passe
quelque chose de curieux, sur ces grandes autoroutes ; on oublie
vite la conduite énergique et agressive à l’européenne : ici, ça
ne rîme a rien. Toutes les files roulent à la même vitesse de toute façon,
il suffit de se laisser porter par le flux continu… Et quelquepart, on
sent comme grisé par cette sorte d’ivresse de la freeway américaine ;
on avale les kilomètres sans se rendre compte des distances…
La route est droite ?
Bah, tant mieux : c’est une automatique, on peut donc la brancher
sur le pilote automatique en enclanchant le « cruise control » (le tout, c’est qu’à ne plus avoir à mettre
les pieds, on risque d’oublier aussi de mettre les mains, et là, c’est
plus dangereux !…). On enfonce le siège en arrière, on choisit un
bon CD de Neil Young, et on monte un peu le son : on sombre dans
la léthargie de la route, le regard erre, les pensées vagabondent…
Et à vrai dire, ce n’est pas le paysage qui occupe, mais la route elle-même
est un spectacle en soi. Etd’abord, on ne peut qu’halluciner devant l’énorme
proportion de mini-vans et autres -fausses ou vraies- 4x4 sur les routes.
Ici, on les appelle « SUV » Sports Utility Vehicles.
Ca a été la grande mode, tous les ricains (et les ricaines surtout) en
voulaient un, très gros, très large, très haut sur roues, même si après
tout la plus grande aventure dans laquelle ils s’illustrent chaque semaine
est le chargement de sacs de courses sur le parking de Safeway… Mais ces
monstres consomment 15 à 20 litres aux 100km minimum, et pendant les manifs
anti-guerre, les propriétaires de SUV se sont fait copieusement insulter
sous l’argument qu’ils sont la cause de la dépendence énergétique des
Etats-Unis envers les états du golfe… et donc de l’interventionisme américain
en Irak sous la pression des lobbys pétroliers… Toujours est-il que même
si les ventes ont baissé récemment (et l’augmentation de près de 20% du
prix du gallon d’essence sur les dernières semaines ne doit pas y être
étrangère), on en voit encore pléthore sur les routes, et quand on est
dans une berline de base, c’est assez frustrant d’avoir l’horizon systématiquement
bouché par une porte arrière avec une grosse roue de secours…
Autres classiques des freeways : les
trucks, ces énormes camions, si caractéristiques aux Etats-Unis, rutilants,
avec leurs deux antennes chromées de chaque côté en guise de pot d’échappement.
Les plus beaux sont peut-être les camions-citernes, avec la citerne en
métal argenté super briqué, comme un miroir, on se voit réfléchi dessus,
avec la route et le paysage ! Magnifique ! Si si, il existe
réellement une esthétique du truck, comme il en est une des voitures (ou
du moins comme il en était une dans les années 60; ça s’est gâté depuis !)…
Beaucoup aussi de «RV». Je
n’ai jamais su ce que ces initiales voulaient dire, mais ce sont en fait
des camion à caravane intégrée, immenses, de la taille d’un bus voire
même plus : on dirait presque un conteneur de 40 pieds ! Et
toujours la voiture, en général une grosse 4x4, accrochée à l’arrière
du mobile-home (plus pratique pour se garer sur le parking du Safeway).
Et voilà, il y a plein d’américains, qui se déplacent comme ça en vacances,
ou pour de grands trajets prolongés. Il y en a qui passent des mois sur
les routes, à travers tout le continent, en trimbalant leur maison, leur
congélo avec distributeur de glaçons, et Fox News ou CNN à la télé. On
avait ainsi rencontré un vieux couple dans le Bagdad Café : quand
on leur a demandé d’où ils venaient, la femme a déclaré : «we live
on the road »… En fait, ils revenaient de quelques mois au Mexique,
et ont dit toujours s’arranger pour repasser par ici au cours de leurs
périples. Et comme c’est souvent
la galère pour trouver un cyber-café pour rester quand même un peu en
contact avec les enfants, ils étaient justement en train d’installer une
liaison par satellite pour avoir accès internet permanent, d’où qu’ils
soient…Comment voyager sans quitter sa maison, son lit, son confort, ses
habitudes et surtout ne pas chercher à connaître ni s’intégrer dans la
culture locale… Economique peut-être -et encore- mais c’est une notion
du voyage que j’ai du mal à partager…
Les plaques d’immatriculation.
On découvre profusion d’Etats où l’on ne mettra jamais les pieds :
Wyoming, Alabama, Missouri, Indiana, Tennessee… Déjà en France, petite,
quand on descendait dans le sud, on regardait avec ma sœur les numéros
sur les plaques des voitures croisées sur la route, et on savait quasiment
par cœur tous les départements avec la préfecture. Certes, il y a moins
d’Etats aux Etats-Unis que de départements en France, mais les plaques
sont nettement plus variées, colorées et autrement intéressantes, avec
les logos officiels des Etats... La Californie est le « Golden State »
bien sûr mais on apprend ainsi que l’Idaho est le « potato state »,
le Missouri est le « show me state » -show me shat ?-,
le Massachussets se pose en tant que « Spirit
of America » rien que ça, qu’il y a du
lait dans le Wisconsin, des jardins au New Jersey, des oranges et du soleil
en Floride, et enfin le New Hampshire proclame « live free or die » !
Et surtout, il existe des modèles personnalisés. Ainsi en Californie,
pour une modeste contribution annuelle de $40 pour son ego, on peut choisir
sa propre immatriculation (j’avais à l’époque choisi « MASILIA »
et avais ensuite pensé à REV CAL mais j’ai vu aussi bien du U2 FAN que
celle de mon pote Reza : CDG 2 SFO, pas mal trouvé pour un français
exilé). Mais aussi, pour encore $50 par an, on peut faire une bonne action
en choisissant également la déco de fond de la plaque elle-même parmi
une douzaine de choix proposés. J’avais choisi la plaque spéciale du California
Tahoe conservancy qui reverse les fonds à des projets de protection de
l’envionnement sur le lac Tahoe, mais je l’avais surtout choisie bien
sûr pour le paysage avec le lac, les pins et les montagnes en fond… Il
faut noter que suite au 11 septembre, un nouveau modèle de plaque a été
ajouté : la « memorial plate » avec en fond un drapeau
américain derrière les nuages -à moins que ce ne soit de la fumée ?-
et le texte : « we will never forget » et si si, je l’ai
vue assez souvent ! Les fonds pour la « memorial plate »
vont à un fonds de lutte contre le terrorisme et à une donation de bourses
pour les enfants dont un parent a été tué dans l’attentat. Le Massachussets
par exemple a la même mais avec le texte « united we stand »...
Certains Etats en ont des magnifiques, la plaque commémorative du centenaire
de l’Utah par exemple est véritables collector, avec une arche de canyon.
D’ailleurs j’en ai moi-même toute une collection dans mes cartons en France,
et je dois bien avoir la moitié des Etats… Ben oui quoi, les plaques d’immatriculations
personnalisées, ça fait partie du rêve américain ! Je finirai bien
par tapisser mon futur bar en style saloon-Hard Rock Café, et culte des
fifties sixties, avec aussi un juke-box Wurlitzer, des plaques de la route
66 et des vieilles pubs de Chevrolet, et tiens, pourquoi pas, une vieille
pompe à essence en déco… On peut rêver !
D’ailleurs à ce propos, il
est un détail qui ne cesse de m’intriguer : aux étapes, tout comme
les fast-foods, les stations-essence sont souvent regroupées par 3 ou 4 de marques
concurrentes ; or les prix affichés varient considérablement d’une
marque à l’autre, Chevron par exemple est quasiment toujours à 20 cents
de plus par gallon que la station Arco juste en face… Alors comment se
fait-il que Chevron arrive encore à avoir des clients ? Les prix
évoluent quasiment tous les jours, c’est dingue. En plus, la Californie
est de loin l’Etat où l’essence est la plus taxée et donc la plus chère,
je n’ai jamais compris pourquoi. On est aujourd’hui à $2,29 le gallon
(ce qui est encore moitié moins qu’en France), mais je me souviens qu’au
Texas il y a quelques années, l’essence était à $0,99 : moins d’un
dollar le gallon, c’est-à-dire moins cher que l’eau minérale ! C’est
pas encore demain la veille que la dépendance énergétique des Etats-Unis
va diminuer…
Traversée de la San Joaquin valley, verger et potager de l’Amérique…
Et effectivement, nous longeons des alignements d’arbres fruitiers de
toutes tranches dâge : cerisiers (pour la cerise confite dans le
martini cocktail), abricotiers, pêchers (pour mettre au fond des yaourts),
orangers et citronniers (« citrus is good for you !»), ainsi
que des champs de fraises (qui seront cueillies par les mexicains, pour
faire les « frozen strawberry margherita » !), et de nombreuses
terres et champs à la culture non déterminée, aspergés par de savants
systèmes d’arrosage automatique. Un immense canal longe l’autoroute presque
tout du long pour irriguer ces vastes zones agricoles. Très impressionnant !
La Californie est le plus peuplé des 50 états américains (35 millions
sur 285) et le 3ème plus grand en surface (après l’Alaska et
le Texas), mais c’est aussi un des Etats les plus fertiles et avec le
meilleur climat, et depuis plus de 50 ans la Californie est de loin le
premier état pour la production et l’exportation agricole. Forcément,
on ne s’en rend pas du tout compte dans les villes comme San Francisco
et Los Angeles, mais dès qu’on sort des agglomérations pour traverser
l’état par la brousse, on se rend compte que les surfaces cultivées (l’espace
libre entre les montagnes et les déserts) sont immenses. D’ailleurs, c’est
idem pour l’élevage. Il y a en particulier un énorme ranch que l’on ne
peut pas louper, juste à côté de l’autoroute, car on l’identifie des kilomètres
à la ronde avant même de le voir, grâce à l’odeur pestilentielle qu’il
dégage : des dizaines de milliers de bœufs noirs y sont parqués,
entassés les uns contre les autres comme des sardines, avec strictement
aucun espace individuel ! Ceux-là ne mâchent certainement pas l’herbe
verte des prairies…Ca doit être un fournisseur pour MacDo ! Enfin
clairement, la Californie nourrit le reste de l’Amérique, lui produit
son lait et son vin, et ses fruits secs à ajouter dans les céréales…et
pourrait certainement très bien survivre en tant qu’Etat indépendant,
après tout, comme le proclame encore aujourd’hui son drapeau officiel
« California Republic »…Yiiiha ! D’aucuns prétendent même
que si la Californie était indépendante, elle serait la 5ème
puissance économique du monde –après la France, donc. Wow !
Enfin, retour dans la baie
de San Francisco en traversant les vertes collines, les champs d’éoliennes,
via le Bay bridge et l’île au trésor (la vraie !), et arrivée enfin
sur ma chère City by the Bay. Ah, que c’est beau, la Californie !
Ces routes, je les ai déjà prises en long, en large en travers, mais on
ne s’en lasse pas… Peu importe les milliers de kilomètres (de miles pardon !)
que l’on avale ; quel bonheur de conduire !
Adoptez
une route !
Tout du long
des grandes routes, on passe sans arrêt des pancartes « Adopt a Highway »
avec en-dessous « this portion has been adopted by… » et en
général le nom d’une communauté religieuse locale ou un restaurant, ou
un site web. Au début, ça surprend… Kezako ? Aussi étrange que cela
sonne, c’est pourtant bien un programme officiel national, un peu sur
le principe de « Parrainez un enfant » sur les vieilles pubs
UNICEF… Les chauffeurs américains sont en effet terriblement mal élevés
et ont une fâcheuse tendance à tout jeter par la fenêtre, sans aucun respect
des autres ni souci de protection de l’environnement (guère mieux que
les comoriens !): cigarettes, cannettes, emballages de hamburgers
et autres résidus de la société de consommation, tout y passe. Il y a
de plus en plus de saloperies sur les bords de routes (sans compter les
pneus crevés et tout ce qui tombe des pick-ups car mal attaché !),
malheureusement les Etats sont absolument sans le sou et ne peuvent plus
assurer le coût exorbitant du nettoyage et de la maintenance des routes.
Comment payer cette énorme facture?
Alors voilà, c’est le Texas
qui a inventé le concept en premier: eh bien puisqu’on ne peut pas payer,
on va faire appel à d’autres. On propose donc à des individus, des associations,
groupes ou communautés se porter volontaire pour adopter une portion de
route (en général 2 miles, pour 2 ans) et s’occuper régulièrement de son
entretien : enlever les détritus, nettoyer les grafitis, arracher
les mauvaises herbes, planter des arbres ou des fleurs, etc. L’Etat fournit
les permis et l’équipement : sacs plastiques, gants, équipement et même formation de sécurité. Et en échange de leur contribution, une pancarte
est placée sur la portion de route en question en reconnaissance du service
rendu. Et ça a très bien marché ! Voilà l’occase pour beaucoup de
faire une bonne action, en se donnant un petit coup de pub (ou un boost
à l’ego).
Mais il restait quand même trois problèmes. D’abord, quand même pas assez
de volontaires pour couvrir tout le réseau. Ensuite, le volume de déchets
est en augmentation constante. Et enfin, pour les grosses voies et autoroutes,
surtout dans les agglomérations, le trafic rendait le travail des volontaires
beaucoup trop dangereux ; il y a eu pas mal d’accidents. La Californie
a repris le programme à son compte il y à peine plus de 10 ans, en ouvrant
aussi la possibilité d’adoption aux entreprises, et en autorisant la sous-traitance
par des compagnies de nettoyage privées, spécialisées. Coup de génie !
L’argument est donc : faites-vous de la pub, en vous donnant bonne
conscience et bonne image, mais sans aller vous-mêmes ramasser les detritus
sur l’autoroute… Il y a donc plusieurs boîtes maintenant qui proposent
ce service, qui vont même vous faire votre pancarte en utilisant votre
logo ets’assurant qu’ils respectent les conditions imposées par l’Etat,
et vont envoyer régulièrement leurs équipes de pros nettoyer votre portion
adoptée. Ca va vous coûter quand même de $300 à $600 par mois le
mile, mais bah, pour une entreprise (ou pour une personne célèbre… Il
paraît que Robin Williams a adopté une portion !), qu’est-ce que
c’est, par rapport aux milliers de personnes qui vont voir votre pub ?
Même si la page officielle du programme précise « The Adopt-A-Highway
Program is not a forum for advertising or public discourse », mine
de rien, c’est bien ça qui fait son succès ! Et les Etats, qui sont
tous totalement endettés, économisent ainsi plusieurs millions de dollars
(et ça de plus qui va pouvoir aller à la contribution à l’effort de guerre…).
Une variante a été créée spécialement pour la route
66 : Adopt-A-Hundred, qui permet d’adopter seulement 100 miles
sur les 2400. C’est gratuit, il suffit d’être membre de l’assoce, et pas
besoin de ramasser les déchets, mais il faut rouler sur sa portion au
moins une fois par an pour informer des dégradations possibles et aussi
tous les deux ans faire une revue des hotels et restaus pour leur guide
de l’assoce… Inutile de dire que toutes les sections sont déjà prises,
et il y a une grosse liste d’attente…
En Californie du Sud aussi, ils ont créé un autre avatar : « adopt
a beach » , qui propose de mettre de grandes poubelles à votre
nom sur les plages. Ca peut être de plus courte durée, mais c’est nettement
plus cher ! En fait , c’est pas mal utilisé pour des de sorties
de film à grosse production, ou une nouvelle voiture, etc, ça fait partie
du budget de campagne de lancement qui vise les jeunes en train de lézarder
sur la plage, en fait, et ce n’est pas spécialement du tout par passion
subite pour la protection de l’environnement…Enfin, il faut prendre les
sous où ils sont, finalement, si ça permet d’avoir de belles plages et
des routes entretenues…
* * *
Cinq portions de routes, cinq
tranches de vie, parmi tant d’autres, qui traversent des paysages aux
contrastes vertigineux mais fascinants. Mais il y en plein d’autres ;
la Californie ne manque pas de paysages hors du commun ni de routes légendaires…
La highway 49 dans la Sierra Nevada, tiens, par exemple, celle des chercheurs
d’or, dits les « forty-niners » (le numéro a manifestement été
choisi !). Apres la cote, les villes et les déserts, il faudra un
jour faire les lacs et les montagnes, les contreforts ouest des Rocheuses,
en hommage aux origines « historiques » de la Californie…
Virginie Drocourt
sheherazad13@yahoo.com
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