Alexandra
David-Néel, " La femme aux semelles de vent "
Tour à tour cantatrice, journaliste, orientaliste, écrivain, philosophe
et surtout exploratrice, elle est la première Occidentale à pénétrer
la ville sainte de Lhassa en 1924 après cinq tentatives et un périple
de plus de 3 000 kilomètres à travers l'Himalaya.
"Qu'importe le nombre de pays que tu parcours puisque tu as la pensée
qui s'élance au-delà de ce monde à la recherche de l'Infini" (La
lampe de sagesse)
Fugueuse dès l'enfance
Née en 1868 d'un père républicain, anticlérical et compagnon d'exil
de Victor Hugo et d'une mère rêveuse et pieuse, elle s'essaie dès son
plus jeune âge à l'aventure en multipliant les fugues, et attribuera
ses accès de fièvre et de mélancolie à ses parents qu'elle compare à
"deux statues qui ne se sont jamais rencontrées." Elle tire très vite
les enseignements de ses premières fugues : il faut se libérer du corps,
le maîtriser par des exercices physiques et des jeûnes… Ainsi, à 17
ans, peut-elle partir de Hollande à bicyclette et atteindre Nice en
une semaine. Deux ans plus tard, nouvelle fugue : arrivée en Suisse
par le train, elle gagne l'Italie à pied par le Saint-Gothard avec pour
tout bagage les Pensées d'Epictète. Rattrapée par à sa mère, elle lui
promet de demeurer sédentaire jusqu'à sa majorité. Après des études
musicales et lyriques, elle se lance dans des travaux sur la philosophie
bouddhiste, apprend le sanskrit, suit les cours sur le Tibet au Collège
de France et passe de longues heures dans la salle de lecture du musée
Guimet : " L'Inde, la Chine, le Japon, tous les points de ce monde commencent
au-delà de Suez… Des vocations naissent… La mienne y est née. " Elle
rêve de pays où les fugues sont longues et irréversibles.
Premiers pas en Asie et premières pérégrinations
Vers 1891, devenue majeure et bénéficiant d'un petit héritage, elle
s'embarque pour l'Inde. Elle est très vite envoûtée par ce grand pays
où elle fuit la société coloniale et l'orientalisme de pacotille pour
parcourir le pays pendant un an. L'argent commençant à manquer, elle
retourne en France avec la ferme intention de revenir. De retour à Paris
où elle doit désormais gagner sa vie, plus nomade que jamais et forte
de ses études musicales, elle se lance dans une carrière d'artiste lyrique
; elle se retrouve sur la scène de différents théâtres, puis, sous le
pseudonyme de Mademoiselle Myrial, elle aura l'emploi de première chanteuse
aux théâtres de Haiphong et de Hanoi. Cette tournée au Tonkin terminée,
elle retourne en France où elle publie un manifeste libertaire. Happée
par sa soif de voyages, elle repart pour la Grèce à l'opéra d'Athènes,
puis pour Marseille et enfin Tunis, où elle accepte la direction artistique
du Casino en 1902. En 1904, Alexandra David épouse Philippe Néel, elle
vient de renoncer au théâtre pour le journalisme et écrit dans diverses
revues anglaises et françaises dont La Fronde. Féministe engagée, elle
milite notamment pour que les femmes qui restent au foyer reçoivent
un salaire. À Paris, à Londres, à Bruxelles, elle donne des conférences
sur le bouddhisme, sur l'hindouisme, s'insurge contre l'orientalisme
mort prêché en Europe, lequel s'attache davantage à l'histoire des religions
qu'à la spiritualité vivante, et publie ses premiers essais. " La vie
d'exploratrice se marie mal avec la vie de famille… " ; et de ce fait
elle est davantage sur les routes qu'auprès de son mari.
Quatorze ans de voyages pour les portes de Lhassa
À 43 ans, elle motive son départ pour le grand voyage de sa vie dans
une lettre qu'elle adresse à son mari : " … Il y a une place très honorable
à prendre dans l'orientalisme français, une place plus en vue et plus
intéressante que celles de nos spécialistes… Vois l'immense succès de
Bergson, excuse ma témérité, mais je crois avoir beaucoup plus à dire
que lui. Pour cela il faut de l'énergie, du travail, une documentation
qui ne laisse pas prise à la critique. Il faut que, lorsque je serai
critiquée par les savants de cabinet, le public puisse penser : oui,
ces gens-là sont d'éminents érudits, mais elle a vécu parmi les choses
dont elle parle, elle les a touchées et vues vivre... ". Avec la bénédiction
d'un mari très libéral, Alexandra David-Néel embarque seule pour un
voyage de quelques semaines en Inde, mais elle n'en reviendra que quatorze
ans plus tard ! Chargée de mission par le ministère de l'Instruction
publique, elle traverse les Indes en 1910. À cette époque, elle souhaite
approfondir sa connaissance du sanskrit et de l'hindouisme. Ce départ
marque le commencement d'une vie. À peine arrivée à Colombo, elle inaugure
sa méthode et son style : le voyage érudit. Elle apprend les idiomes,
traduit les manuscrits, rencontre des sages et des lettrés, puis s'essaie
à la méditation. Sévère mais très documentée, elle est critique, privilégie
toujours la rationalité face aux superstitions, et n'hésite pas à se
travestir pour assister aux cérémonies interdites. En 1912, afin d'approcher
et de révéler les arcanes du bouddhisme tibétain, elle escalade les
Himalayas. Là, solidement recommandée par un évêque japonais, elle obtient
une entrevue avec le treizième dalaï-lama exilé à la frontière du Tibet
d'où il a été chassé par les Chinois ; celui-ci lui donnera rendez-vous
à Lhassa, invitation qu'elle mettra onze ans à honorer. Devenue disciple
d'un grand maître tibétain, elle séjourne dans un ermitage himalayen,
où elle mène une vie d'ascète.
Puis, de villes en monastères, de vallées en déserts, à pied ou à dos
de mule, elle suit ses propres itinéraires, tandis que Philippe Néel
se ruine pour entretenir chacun de ses pas. Alexandra méprise le confort,
ignore les défaillances, manque de se faire dévorer par des yogis anthropophages
et découvre l'art du "Toumo", qui consiste à supporter les froids polaires
en majorant la chaleur de son corps. Révoltée par l'interdiction qui
lui est faite de se rendre dans la capitale du Tibet et après plusieurs
tentatives qui se soldent par autant d'expulsions, elle réalise un prodige
: au terme d'un parcours de plus de 3 000 km, des mois d'errance à pied,
des accidents et des démêlés avec les brigands, elle devient la première
Occidentale à pénétrer dans la cité interdite de Lhassa en 1924. Elle
a 56 ans.
À vie exceptionnelle, bibliographie exceptionnelle
Alexandra David-Néel ne posera définitivement ses malles qu'à 78 ans,
après avoir parcouru l'Asie de long en large. Installée dans sa retraite
à Digne, celle que les Tibétains considèrent comme une déesse passera
son temps à l'étude et à l'écriture. Femme d'action doublée d'un écrivain,
elle s'éteindra à 101 ans, après avoir ouvert l'Occident au cœur des
philosophies bouddhistes et hindouistes. Jean Chalon et Jacques Brosse,
ses biographes, s'attardent longuement sur l'épopée exceptionnelle de
" La femme aux semelles de vents " qui laisse derrière elle une trentaine
d'ouvrages parmi lesquels : une autobiographie posthume (Le sortilège
du mystère), de nombreux récits de voyages dont les plus célèbres sont
Voyage d'une Parisienne à Lhassa , Au pays des brigands gentilshommes,
L'Inde où j'ai vécu et Journal de voyage. Lettres à son mari . De nombreux
récits philosophiques, historiques ainsi que la traduction de la grande
légende tibétaine de Guésar de Ling (La vie surhumaine de Guésar de
Ling) viennent également s'ajouter à la longue liste de ses écrits.
Mais c'est à la philosophie bouddhiste qu'Alexandra David-Néel a consacré
la plus grande partie de sa vie ; en nous offrant les deux livres lumineux
que sont Le bouddhisme du Bouddha et Les enseignements secrets des bouddhistes
tibétains (éditions Adyar), celle dont la vie fut consacrée à l'exploration
nous lance une fabuleuse invitation au voyage intérieur.
" La femme aux semelles de vent " ne posera définitivement ses malles
qu'à soixante-dix huit ans après avoir parcouru l'Asie de long en large.
Installée dans sa retraite de Digne, celle que les Tibétains considèrent
comme une déesse passera son temps à l'étude et à l'écriture. Femme
d'action doublée d'un écrivain, elle s'éteindra à cent et un ans, après
avoir ouvert l'occident au cœur des philosophies bouddhistes et hindouistes
au travers d'une trentaine d'ouvrages.